Retrouver le sens de l’action civique
Pour faciliter la vie des Québécois, maintenant, espérons qu’ils prennent les commandes de leur destin en faisant des élections 2018 les plus populaires de l’histoire récente. Sérieusement. Au départ de la campagne électorale, avant même de mettre le pied sur le terrain des idées, Le Devoir souhaite que les Québécois retrouvent le sens collectif de la participation civique. La démocratie est un système imparfait, mais c’est le seul qui soit perfectible, pour autant que nous exercions notre droit de vote. Un droit fragile, comme en témoigne l’expérience de nombreux pays dans le monde à travers le temps. La démocratie relève davantage de l’exception que de la règle universelle.
En 2017, l’indice de la démocratie publié par le magazine The Economist faisait état d’un recul marqué de la démocratie dans le monde. Un tiers de la population vit sous un régime autoritaire. Dix-neuf pays seulement, dont le Canada, étaient considérés comme des « démocraties complètes ». À peine 4, 5 % de la population mondiale vit donc dans ces conditions optimales que nous avons tendance à tenir pour acquises.
La démocratie est en recul même dans les démocraties les plus anciennes, notamment en Europe et aux ÉtatsUnis. The Economist en veut pour preuve les lacunes dans le fonctionnement de l’État, la baisse de la confiance dans les institutions, la diminution de l’attrait pour les formations politiques traditionnelles, l’influence des lobbys, l’élargissement du fossé entre les élites et les citoyens, le déclin de la liberté de presse et des libertés civiles… Sans oublier la baisse du taux de participation aux élections.
Au Québec, le taux de participation était de 71,4 % aux élections de 2014, soit un peu moins que la moyenne des vingt dernières années (70,57 %). Il n’y a pas de quoi s’asseoir sur nos lauriers. Le Directeur général des élections du Québec est préoccupé par le faible taux de participation chez les 18 à 35 ans : environ un jeune sur deux se donne la peine de voter. Or, les 18 à 35 ans forment désormais 28 % de l’électorat. Si cette génération se mobilise, elle détiendra la proverbiale « balance du pouvoir » le 1er octobre. Il est temps pour cette cohorte de faire entendre sa voix là où elle aura le plus d’impact, dans le secret de l’isoloir. Ces jeunes ne sont ni apathiques ni désengagés de la chose politique, comme en attestent la vitalité et la finesse des questions qu’ils ont posées aux chefs des quatre partis lors d’un dialogue jeunesse organisé par l’Institut du Nouveau Monde (INM) et Le Devoir.
Le chef du PLQ, Philippe Couillard, le chef du PQ, Jean-François Lisée, le chef de la CAQ, François Legault, et la co-porte-parole de Québec solidaire Manon Massé se sont prêtés avec élégance et respect à ce dialogue. Espérons que les candidats des quatre formations montent dans leur caravane de campagne avec des idées en tête. Espérons qu’ils soient en mesure d’accueillir la critique citoyenne, même la plus acerbe, avec plus d’élégance qu’un Justin Trudeau imperturbable de mépris à l’égard d’une citoyenne qui a osé critiquer ses politiques migratoires.
Espérons de la hauteur. Il le faut pour casser l’impression que la politique n’est que salissage, affrontements, antagonismes. Il le faut pour intéresser les citoyens d’aujourd’hui aux affaires de la cité alors qu’ils ont la possibilité de s’investir dans une multitude de causes sociales en dehors de la politique et qu’ils ont l’embarras du choix dans les univers virtuels où se réfugier, à l’abri de la réalité du Québec contemporain.
Les électeurs de 2018 ont plus de choix qu’il n’y paraît à première vue. De QS à la CAQ , le spectre gauche-droite est plus large qu’il ne l’était autrefois, du moins sur papier. En campagne, c’est connu, tous les partis cherchent à se rapprocher du centre juteux, terre d’éclosion des gouvernements majoritaires.
Deux partis (le PLQ et la CAQ) ont fait leur nid douillet au sein du Canada. Deux autres (le PQ et QS) croient toujours en la souveraineté du Québec, mais avec un degré d’empressement pour le moins variable. Le chef péquiste, Jean-François Lisée, propose de reporter dans un deuxième mandat la tenue d’un référendum. À ce chapitre, les « purs et durs » devront cesser de lui reprocher sans cesse sa lecture lucide de la réalité : les Québécois n’ont guère d’appétit immédiat pour la souveraineté. M. Lisée l’a compris, lui, au moins.
Cet état de fait ne relègue en rien la question nationale au rayon des archives. Elle reste profondément actuelle et elle doit s’incarner dans l’amélioration du système d’éducation au Québec, dans l’accessibilité aux études supérieures, dans la hausse de la diplomation, dans la lutte contre l’analphabétisme, dans l’intégration et la francisation des nouveaux arrivants, dans le maintien de l’exception culturelle francophone à l’ère du commerce électronique, dans la préservation du fait français en terre d’Amérique.
Le prochain gouvernement, quel qu’il soit, devra s’inscrire à son tour dans la longue tradition de défense de la social-démocratie à la québécoise, avec un rôle bien cadré de l’État pour répartir la richesse et aplanir les inégalités. Il devra veiller à assurer la pérennité du fait français, dans un souci d’inclusion et de respect des droits des minorités et des Premières Nations.