Le vol du siècle : la copie privée
Dans le cadre de la révision de la Loi sur le droit d’auteur, le monde élargi de la musique comparaît devant des comités parlementaires. Un des enjeux est le régime de copie privée.
En 1997, le gouvernement canadien a modifié le droit d’auteur, qui protège les oeuvres musicales et leurs créateurs et ayants droit, pour légaliser la copie privée, devenue endémique, en échange d’une redevance compensatoire sur les supports vierges (CD), redevance à être déterminée par la Commission du droit d’auteur. En 2004, cette redevance a permis de verser 40 millions de dollars aux ayants droit pour la copie privée de leurs oeuvres, mais en 2016, elle n’atteignait plus que 3,4 millions.
L’évolution technologique a rendu la compensation promise illusoire, car les supports passés reconnus dans la loi (CD) sont devenus obsolètes alors que les nouveaux supports, cartes microSD et similaires utilisés dans différents appareils tels que les tablettes et les téléphones intelligents, ne sont pas explicitement mentionnés dans la loi de 1997.
L’exclusion des nouveaux supports a été confirmée par le gouvernement Harper dans le Règlement d’exclusion visant les cartes microSD (Loi sur le droit d’auteur) de 2012 qui exempte de redevances les nouveaux supports utilisés pour la copie privée.
De toute évidence, le règlement est en contradiction avec l’esprit des amendements apportés en 1997 et, de ce fait, vole annuellement des dizaines de millions de dollars aux auteurs, compositeurs et interprètes.
L’unique justification apportée par le gouvernement était qu’une redevance « augmenterait les frais pour les fabricants et les importateurs de ces cartes, frais qui seraient indirectement transmis aux détaillants et aux consommateurs. En conséquence, le coût de toutes les technologies utilisant ou nécessitant des cartes microSD, telles que les téléphones intelligents, serait probablement touché, ce qui influerait de manière négative les activités cybercommerciales et la participation du Canada à l’économie numérique [sic !]». Le gouvernement ajoutait que son objectif est de promouvoir « une économie numérique qui favorise le développement et l’adoption précoce des nouvelles technologies ».
En légalisant la copie privée sans compensation, le gouvernement s’est substitué aux pirates d’avant 1997. Comme si on pouvait exproprier des terrains sans compensation afin de réduire les coûts de développement sur ces terrains! Il serait difficile de trouver un autre règlement canadien aussi confusément et mal justifié.
Un rapport récent de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle montre que la situation est bien différente dans un grand nombre d’autres pays où existe un système de redevance pour la copie privée. Plusieurs nouveaux appareils sont qualifiés de « supports vierges » assujettis au paiement de redevances, de même que les appareils multifonctions, tels que les tablettes et les téléphones intelligents. Ainsi, le prélèvement à l’achat d’un téléphone intelligent est de 0 $ au Canada, de 11 $ en France, de 9 $ en Allemagne et en Suède.
Le montant total perçu annuellement en 2015-2016 au nom des ayants droit pour la copie privée de leurs oeuvres était: au Canada 3,4 millions (0,10 $/habitant), en France 317 millions (4,80 $/habitant), en Allemagne 273millions (3,36 $/habitant), en Italie 150 millions (2,44 $/habitant), en Suède 18 millions (2,70 $/habitant).
On se demande pourquoi le gouvernement canadien ne bloque que la rémunération des ayants droit, alors qu’il pourrait aussi exempter les technologies numériques d’autres coûts beaucoup plus importants, notamment les coûts en capital, en énergie, en main-d’oeuvre et surtout en taxes !
Si le gouvernement croit vraiment qu’une redevance pour la copie privée nuirait profondément au développement de nouvelles technologies, est-ce à dire qu’il s’attend à ce que les pays où des redevances existent sur les cartes microSD, tels la France, l’Allemagne, l’Italie et la Suède, retourneront bientôt à l’âge de pierre ?