Le Devoir

ACTUALITÉS

Jusqu’où la carpe asiatique pourra-t-elle coloniser les cours d’eau du Québec ?

- ALEXANDRE SHIELDS

Après le fleuve Saint-Laurent, jusqu’où ira la carpe asiatique ? |

Maintenant que la carpe asiatique semble être là pour longtemps au Québec, le gouverneme­nt cherche à savoir si cette espèce particuliè­rement envahissan­te pourrait coloniser le territoire en remontant des rivières qui se jettent dans le Saint-Laurent. Pas moins d’une centaine de cours d’eau font l’objet d’analyses cette année, a appris Le Devoir.

Dans le cadre du Programme québécois de lutte contre les carpes asiatiques, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) cherche des moyens de prévenir la propagatio­n de la carpe de roseau, la seule des quatre espèces de carpes asiatiques dont la présence a jusqu’ici été confirmée dans le Saint-Laurent.

Non seulement l’espèce nage dans les eaux québécoise­s depuis déjà quelques années, mais une femelle de 64 livres a été pêchée en 2016 dans le secteur de Contrecoeu­r.

Cette année, les experts du ministère concentren­t une partie de leurs efforts dans l’évaluation de la « franchissa­bilité des obstacles naturels et anthropiqu­es », a indiqué le MFFP.

« L’objectif de ce travail est de recenser les tributaire­s à risques et de fournir des recommanda­tions afin de limiter la propagatio­n des carpes asiatiques dans les eaux intérieure­s», a-t-on précisé.

En tout, une centaine de cours d’eau sont dans la mire du ministère, a expliqué le biologiste Olivier Morissette. Ces rivières qui se jettent dans le SaintLaure­nt sont situées entre la frontière ontarienne et la rivière Saguenay, puisque les carpes peuvent tolérer un certain niveau de salinité de l’eau.

Poissons voraces

Dans tous les cas, on évalue la présence d’obstacles, comme des barrages ou des digues, mais aussi l’existence de barrières naturelles, comme des chutes.

Ces analyses ont notamment été menées à la période des crues printanièr­es, puisque à ce moment certains obstacles pourraient être plus faciles à franchir pour les carpes. « Ces poissons sont de bons nageurs, qui peuvent remonter le courant fort et qui recherchen­t ce type d’habitat, y compris pour la reproducti­on », a souligné M. Morissette.

Qui plus est, c’est à la faveur d’inondation­s que les carpes asiatiques ont pu atteindre le Mississipp­i, dans les années 70. On connaît la suite. Ces poissons particuliè­rement voraces ont réussi à remonter le mythique fleuve et à envahir les cours d’eau rattachés à celui-ci sur une distance de plus de 1500 kilomètres.

Dans la rivière Illinois, à quelques dizaines de kilomètres des Grands Lacs, les carpes représente­nt à certains endroits plus de 90 % de la biomasse animale du cours d’eau.

La situation n’a pas encore atteint un niveau aussi dramatique dans le SaintLaure­nt. La présence de la carpe de roseau (qui peut atteindre 1,25 mètre et peser plus de 100 livres) a toutefois été détectée à 16 endroits en 2016 et à 12 endroits en 2017, grâce à l’analyse d’ADN environnem­ental recueilli le long du Saint-Laurent.

Plus précisémen­t, le MFFP a détecté la présence de l’espèce en amont de Montréal, mais aussi dans un tronçon du Saint-Laurent entre Bouchervil­le et Sorel, ainsi qu’à l’embouchure de la rivière Saint-François, qui se déverse à la tête du lac Saint-Pierre.

Ces travaux se sont poursuivis cette année, avec quelque 350 stations d’échantillo­nnage. Les données recueillie­s sont présenteme­nt en analyse, a indiqué le ministère.

Habitat propice

En plus de cette recherche, les biologiste­s du gouverneme­nt tentent de capturer des carpes avec des «techniques spécifique­s » pour la carpe de roseau. M. Morissette a en effet indiqué que cette espèce est particuliè­rement douée pour éviter les filets de pêche habituelle­ment utilisés, ce qui complique les choses.

Jusqu’à présent, le MFFP n’a rapporté aucune prise de carpe asiatique cette

année dans le Saint-Laurent. Mais tout indique que l’espèce s’y trouve à son aise, selon M. Morissette.

« Certains habitats ont toutes les caractéris­tiques nécessaire­s pour l’établissem­ent de la carpe de roseau. Elle se nourrit de plantes aquatiques, par exemple dans les herbiers du SaintLaure­nt. Et c’est un poisson qui provient des mêmes latitudes en Asie, donc de conditions semblables à ce qu’on trouve dans le Saint-Laurent. »

En dévorant les herbiers, elle risque par ailleurs de représente­r une menace pour le chevalier cuivré, une espèce menacée et endémique au Québec. En fait, la carpe de roseau pourrait menacer toute la faune aquatique indigène.

La carpe asiatique pourrait-elle se reproduire ici? Oui, répond M. Morissette. Il cite comme exemple la reproducti­on confirmée dans la rivière Sandusky, qui se jette dans le lac Érié, de carpes introduite­s d’abord dans les Grands Lacs.

Et selon Pêches et Océans Canada, « les conséquenc­es écologique­s de la présence de la carpe de roseau dans la plupart des zones du bassin des Grands Lacs pourraient être extrêmemen­t graves dans les cinquante prochaines années ».

Ces poissons sont de bons nageurs, qui peuvent remonter le courant fort et qui recherchen­t ce type d’habitat, y compris pour la reproducti­on OLIVIER MORISSETTE

 ?? SCOTT OLSON GETTY IMAGES/AGENCE FRANCE-PRESSE ?? En dévorant les herbiers, la carpe asiatique risque de représente­r une menace pour le chevalier cuivré, une espèce menacée et endémique au Québec.
SCOTT OLSON GETTY IMAGES/AGENCE FRANCE-PRESSE En dévorant les herbiers, la carpe asiatique risque de représente­r une menace pour le chevalier cuivré, une espèce menacée et endémique au Québec.

Newspapers in French

Newspapers from Canada