Le Devoir

Rêver aujourd’hui l’école de demain

Marc-André Carignan révèle les possibles et les limites de nos établissem­ents scolaires

- FLORENCE SARA G. FERRARIS

Ce n’est un secret pour personne, l’école québécoise est en mal d’amour depuis de nombreuses années. Souvent dépeinte dans les médias comme étant surpeuplée et anachroniq­ue, elle révèle, selon plusieurs, les carences de notre système d’éducation. « C’est un peu comme si nos écoles avaient été figées dans le temps, lance sans ambages l’auteur et chroniqueu­r Marc-André Carignan. Comme si nos établissem­ents scolaires étaient restés coincés quelque part au milieu du XXe siècle. »

Rencontré dans un café montréalai­s, alors que son premier essai, Les écoles qu’il nous faut, arrive tout juste en librairie, l’architecte de formation pose un regard très critique sur l’environnem­ent bâti — de la classe à la cour de récréation, en passant par les couloirs et la cafétéria — dans lequel évoluent au quotidien nos enfants et ceux qui leur enseignent.

« L’école québécoise n’a pratiqueme­nt pas changé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, déplore-t-il, en laissant échapper un léger soupir. Ce sont encore les mêmes classes fermées avec des pupitres en rangées où tout le monde regarde dans la même direction. La seule chose qui diffère avec ce qu’on proposait il y a 60 ans ? On a ajouté un tableau blanc interactif ! »

L’heure est pourtant de plus en plus à la personnali­sation des espaces, rappelle l’auteur. « On a qu’à penser aux bureaux dans les grandes tours de nos centres-ville ou aux start-up de ce monde, souligne-t-il. Si les entreprise­s, dont le principal objectif demeure de faire du profit, ont été en mesure de revoir leur environnem­ent pour améliorer la productivi­té, mais aussi la qualité de vie de leurs employés, je m’explique mal pourquoi nos écoles — ces lieux où on assure l’avenir de notre société — n’arrivent pas à suivre le même mouvement. »

D’autant, ajoute-t-il, « qu’on demande maintenant aux enseignant­s de diversifie­r leurs approches et de s’adapter aux forces et aux faiblesses de chacun de leurs élèves. Comment voulez-vous qu’ils réussissen­t quand, du même coup, on leur demande d’évoluer dans des environnem­ents aussi statiques ».

Ouvrage collectif

Son essai propose donc des pistes de réflexion pour qu’émerge — enfin ! — une école « nouveau genre ». Mobilier flexible, murs vitrés, salles polyvalent­es et partagées… les idées ne manquent pas pour dépoussiér­er les établissem­ents scolaires et proviennen­t, pour une fois, directemen­t du milieu de l’éducation.

« Cet essai, oui c’est mon livre, mais j’aime penser qu’il s’agit plutôt d’un ouvrage collectif », lance Marc-André Carignan, un large sourire sur le visage. Collectif, car, pour y arriver, le jeune essayiste a sillonné pendant près de deux ans les routes du Québec pour aller à la rencontre de ceux qui portent l’école de demain sur leur dos. « Je voulais vraiment éviter qu’on me reproche de ne pas avoir écouté le milieu », explique-t-il. L’ouvrage regroupe donc les idées des enseignant­s, mais aussi des directions scolaires, des commissair­es, des psychologu­es, des directeurs de ressources matériels et des architecte­s, pour ne nommer que ceux-là.

Même les enfants, avec leur regard affûté et leur parler unique, ont eu leur mot à dire. Et si leur «école idéale» tient parfois de l’imaginaire, certaines de leur revendicat­ion soulignent avec acuité les manquement­s de leur environnem­ent scolaire. On peut, par exemple, penser à Ilias, qui souhaitera­it « avoir beaucoup de couleurs dans [son] école », plutôt que « du gris ou du beige ». Ou encore à Albert, qui rêve d’un « pupitre plus grand » pour pouvoir « travailler debout ».

L’idéal en morceaux

Et tout y passe, chacun des chapitres s’attardant à un aspect précis de l’école d’aujourd’hui, soulignant les lacunes, relevant les besoins et marquant les bons coups. Car des cas inspirants, il y en a chez nous, souligne le jeune auteur. « Il ne faudrait pas croire qu’il n’y a rien de bon qui se fait ici, bien au contraire. Pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour avoir un aperçu de ce que pourrait être l’école du XXIe siècle. »

Et de fait, de Gatineau à Sept-Îles, en passant par Rimouski et Terre- bonne, des dizaines de morceaux d’idéal sont dispersés aux quatre coins du Québec, rappelant ainsi qu’il est possible de faire mieux. Il y a des enseignant­s qui ont complèteme­nt éclaté leur salle de classe, la rendant plus polyvalent­e pour qu’elle puisse répondre aux besoins des différents enfants, illustre-t-il. Ailleurs, ce sont des directions ou des commission­s scolaires qui ont osé sortir du cadre, qui ont sorti leurs espaces du moule préusiné. Dans d’autres cas encore, c’est la communauté tout entière qui y a mis du sien.

«Notre plus gros problème en ce moment, c’est qu’on refait à l’identique plutôt que de profiter des rénovation­s et autres mises à niveau nécessaire­s pour améliorer et innover un peu, insiste Marc-André Carignan, reconnaiss­ant toutefois que ce sont parfois les moyens qui manquent. Il est peut-être temps de revoir les modes de financemen­t de notre système scolaire, de lui redonner sa place au budget, mais également de faire preuve d’audace quand vient le temps de parler d’argent. »

« Nos enfants passent le plus clair de leur temps assis entre ces quatre murs, renchérit-il. Si l’école est vraiment aussi importante qu’on le dit, il serait peut-être temps d’agir. Comme société, on leur doit bien ça. »

Les écoles qu’il nous faut

Marc-André Carignan, Éditions MultiMonde­s, Montréal, 2018, 215 pages Le livre sera en librairie à compter du 28 août.

Il ne faudrait pas croire qu’il n’y a rien de bon qui se fait ici, bien au contraire MARC-ANDRÉ CARIGNAN

 ?? CATHERINE LEGAULT LE DEVOIR ?? L’auteur Marc-André Carignan
CATHERINE LEGAULT LE DEVOIR L’auteur Marc-André Carignan
 ?? RAPHAËL THIBODEAU ?? À l'école Saint-Rémi Annexe, dans Montréal-Nord, une zone de spectacle a été enveloppée d'une coquille de bois, un clin d'oeil à la Maison symphoniqu­e de l'Orchestre symphoniqu­e de Montréal.
RAPHAËL THIBODEAU À l'école Saint-Rémi Annexe, dans Montréal-Nord, une zone de spectacle a été enveloppée d'une coquille de bois, un clin d'oeil à la Maison symphoniqu­e de l'Orchestre symphoniqu­e de Montréal.

Newspapers in French

Newspapers from Canada