Le miroir aux alouettes
Si les premiers jours de la campagne électorale sont annonciateurs de la suite, la Santé sera un terrain fertile pour dévoiler ses vraies couleurs et mener la course aux illusions. Le souque à la corde joué par la CAQ et le PLQ autour de la candidate vedette Gertrude Bourdon assoit d’abord un consensus : elle est maintenant révolue l’époque-lubie où l’on croyait qu’un médecin titulaire de la Santé allait comme par magie trouver la recette à un réseau surchargé, surmené et surdimensionné. Avec Danielle McCann comme coup de coeur de François Legault, et Gertrude Bourdon aux côtés de Philippe Couillard, voici venue la mode des « gestionnaires » desquelles on espère qu’elles effectueront une sortie de crise honorable. La tâche est titanesque.
Les débats entourant Gertrude Bourdon ont porté surtout sur son prétendu « opportunisme », la p.-d.g. du CHU de Québec-Université Laval ayant confirmé avoir d’abord « magasiné » du côté de la CAQ. Elle ne serait pas la première (ni la dernière, en ce chapitre électoral où certains programmes se chevauchent les uns les autres) à souffrir d’une tendance à l’hésitation qu’on peut aussi associer à du calcul politique.
Ce qui étonne bien davantage est le premier engagement de Mme Bourdon. Si d’aventure les libéraux formaient le prochain gouvernement, l’éventuelle ministre de la Santé affirme qu’elle « ne changerai[t] rien à la réforme Barrette » ! Bien sûr, le chef Philippe Couillard a brisé la tradition et dévoilé un morceau d’un conditionnel Conseil des ministres pour esquiver les attaques portant sur le grondant Gaétan Barrette. Mais n’était-ce pas aussi pour que les électeurs croient en un certain renouveau ? L’effet est doublement raté : Mme Bourdon se propulse en promettant une continuité qui nous inquiète. En outre, la promesse de M. Barrette aux commandes du Trésor, grand manitou possible d’une négociation future avec la fonction publique, l’Éducation et la Santé, est de nature à faire frémir.
Les travaux de la Santé sont colossaux, on en convient. La réforme idéale n’existe pas, on le sait. Mais la dernière en date, en raison de la manière de faire plus que du fond, a mis à mal la confiance des électeurs et aussi, voilà le véritable drame, des acteurs du réseau, quels qu’ils soient. Les brèches sont béantes. L’entente de rémunération des médecins spécialistes, que la CAQ promet de rouvrir, a grevé ce qu’il restait de vision optimiste. Désormais, sur l’autel de ces 2,2 milliards qui s’ajouteront au salaire des spécialistes d’ici 2022-2023, on peut se demander ce qui aurait pu être consacré à d’autres postes budgétaires de la Santé jugés cruciaux.
Un généreux coup de barre dans les soins à domicile, un secteur désigné par tous comme vital ? L’atteinte de la cible visée pour la population dotée d’un médecin de famille (cible : 85 % ; résultat : 76 %) ? Comme l’a montré un récent reportage du Devoir, il ne faut pas s’éloigner tellement d’un grand centre comme Montréal pour trouver, comme dans Beauharnois, en Montérégie, des milliers de Québécois sans médecin, et une circonscription qui peine à séduire de nouveaux médecins. Ou des ressources supplémentaires pour soulager ces maisons de la misère que sont devenus les CHSLD ?
Avec un vieillissement de la population qui s’accélère, les partis ont beau jeu de vouloir améliorer ces maisons de fin de vie qui portent aux yeux de tous la cote du pire. Le parti de François Legault pratique toutefois l’angélisme avec son concept de Maison des aînés. L’ex-libérale devenue caquiste Marguerite Blais, qu’on associe à sa connaissance fine des enjeux touchant les aînés, a bien tenté de rattraper le jeu en précisant que ces Maisons, des espaces verdoyants-bucoliques-dernier cri-climatisés présentés en vidéo par la CAQ, n’allaient aucunement dispenser le parti de bonifier dès maintenant les conditions matérielles et humaines des CHSLD, le tout au nom de la « dignité ». Hélas, l’illusion était déjà repérée.
Les vertus électoralistes de ces lieux de rêve sont détectables des milles à la ronde ; mais on a maintenant compris la somme faramineuse qu’il faudrait débourser pour atteindre un nombre de places sans doute sous-évalué par la CAQ, le tout en partenariat avec le privé et sur fond de pénurie de personnel, et en 2038 ! Il faut se méfier des miroirs aux alouettes. Si séduisants soient-ils, ils ne sont que tromperie.