Le Devoir

Les moteurs en panne de la souveraine­té

- Pierre-Alain Cotnoir

Membre fondateur du Groupe de recherche sur l’opinion publique Montréal

Le politicolo­gue Jean-Herman Guay avait bien mis au jour, voici près de 20 ans, deux « moteurs » qui risquaient de tomber en panne afin de promouvoir l’indépendan­ce du Québec : le premier avait trait à l’essor économique des « Canadiens français » obtenu par l’utilisatio­n de l’État québécois depuis 1960 qui aura permis de combler en grande partie le retard économique de ceux-ci ; le deuxième était directemen­t lié à l’adoption de la Charte du français qui, bien qu’elle ait été charcutée par la Cour suprême du Canada, a donné un sentiment de sécurité linguistiq­ue à une majorité de francophon­es.

Mais il y en a d’autres. Le troisième moteur faisant défaut découle des deux premiers et implique que, si plus de 80 % des jeunes francophon­es se considèren­t d’abord comme Québécois, ils sont beaucoup moins nombreux à souhaiter l’indépendan­ce du Québec, car, à également 80%, ils pensent qu’il demeure possible de réformer le fédéralism­e canadien de manière à satisfaire à la fois le Québec et le reste du Canada. Notons qu’en 1995, seuls 40 % des jeunes francophon­es étaient de cet avis.

Le quatrième moteur a trait aux enjeux écologique­s et économique­s, illustrés par les changement­s climatique­s, qui sont source d’inquiétude pour une forte proportion des moins de 35 ans. Comme je l’écrivais, il y a quelques années : « Quand un tsunami risque de tout emporter, on se fout pas mal des chicanes de clôture ! »

Le cinquième moteur connaissan­t des ratés demeure le même que celui qui mine bien des partis se réclamant de la social-démocratie, celle-ci s’étant transformé­e pour plusieurs d’entre eux en social-libéralism­e, les rendant incapables de changer quoi que ce soit au contrôle oligarchiq­ue actuel. Pour le PQ, cette difficulté prend en plus la forme d’un souci maladif de ne pas déplaire tant à droite qu’à gauche afin de ne pas miner ses chances de gagner un éventuel référendum, avec le résultat qu’avec de tels atermoieme­nts le PQ, en fin de compte, ne plaît plus à personne.

Enfin, n’y aurait-il pas un sixième moteur, faisant défaut de manière plus insidieuse, découlant d’avatars de ce que d’aucuns ont appelé la « mondialisa­tion », mais qui serait bien mieux nommé « uniformisa­tion » de la culture asservie à un modèle universel Made in USA. Des avatars qui font que les moins de 40 ans, plus que leurs parents et encore plus que leurs grands-parents ont assimilé bien des traits culturels (valeurs, attitudes et pratiques) provenant d’Uncle Sam. Ces traits ont entre autres contribué à l’émergence d’identités morcelées au nom de la diversité amenuisant d’autant le sentiment d’une appartenan­ce nationale commune. La culture numérisée de Spotify à Netflix, de Facebook à Instagram ou de Google Home à Siri vient laminer les cultures nationales instituant comme référant des mèmes globalisés conçus, produits et distribués par une oligarchie apatride disposant de la force des GAFA dont les moyens d’espionnage et de persuasion servent les intérêts d’entités transnatio­nales.

Bien des jeunes — mais aussi des pas si jeunes — de la classe moyenne anxieux de perdre leur « addiction » au mode de vie promu par l’American way of life cherchent alors à se réfugier dans les bras des politicien­s qui leur promettent le maintien pour encore longtemps de leurs rêves consuméris­tes. Les radios poubelles de Québec en sont un écho tonitruant, la CAQ ou le PLQ l’incarnatio­n politique.

Newspapers in French

Newspapers from Canada