Le Devoir

La lutte contre la pauvreté est-elle perdue d’avance ?

Près de 10 % de la population québécoise n’arrive pas à combler ses besoins de base. Mais la question semble complèteme­nt absente du débat électoral.

- Olivier Ducharme

Chercheur à l’Observatoi­re de la pauvreté et des inégalités (Collectif pour un Québec sans pauvreté) et auteur du livre Travaux forcés. Chemins détournés de l’aide

sociale, aux éditions Écosociété, qui sortira en librairie le 28 août

Dans le spectacle que sont devenues les campagnes électorale­s, bien peu est dit, voire rien, sur les personnes vivant en situation de pauvreté. Peutêtre est-ce une bonne chose, car la pauvreté est trop sérieuse pour être réduite à une promesse électorale. On oublie qu’en moyenne 10 % de la population québécoise ne parvient pas à combler ses besoins de base. Situation inacceptab­le qui devrait provoquer l’indignatio­n, mais qui, au contraire, semble plutôt engendrer l’indifféren­ce.

Depuis déjà assez longtemps, les gouverneme­nts successifs se contentent de rappeler que la lutte contre la pauvreté est un « défi de taille », ambitieux et appelant la participat­ion de tous. La lutte contre la pauvreté ressemble trop souvent à une bataille perdue d’avance. Le gouverneme­nt connaît pourtant les solutions à apporter pour remédier à la situation, mais se contente de peu, offrant une aide insuffisan­te et sans commune mesure avec les besoins réels de la population pauvre. Il ne peut pas invoquer l’argument d’un manque de fonds publics pour expliquer cette situation, lui qui, depuis les deux dernières années, a inscrit des surplus budgétaire­s ; lui qui accorde, pour la prochaine année, des baisses d’impôt aux particulie­rs à la hauteur de 1 milliard ; lui qui a augmenté le salaire des médecins, classe déjà bien nantie, de 8,6 % en moyenne par année depuis les dix dernières années. Le gouverneme­nt québécois a ainsi les moyens d’éliminer la pauvreté, mais il choisit de ne pas le faire.

Le maillon faible

La campagne électorale est l’occasion pour tous les partis de nous rappeler leur engagement pour améliorer les systèmes d’éducation et de la santé. Mais qu’en est-il de l’aide sociale ? On oublie que, lors de son adoption en 1969, la Loi sur l’aide sociale représenta­it, au même titre que la santé et l’éducation, une pièce maîtresse des services sociaux. La Révolution tranquille avait pour ambition de constituer un filet social qui protégerai­t tous les citoyens contre les aléas de la vie sociale et permettrai­t à chacun de s’épanouir. L’établissem­ent de l’aide so- ciale participai­t d’un projet de société sans précédent au Québec : créer une collectivi­té solidaire dans laquelle nul ne serait laissé de côté, peu importe les circonstan­ces.

L’aide sociale a néanmoins toujours constitué le maillon faible de l’ensemble des services sociaux. La société québécoise accepte mal, depuis le premier jour, que l’assistance sociale se définisse comme un droit. On présuppose qu’elle vise qu’une minorité et qu’elle ne peut s’évaluer selon les mêmes critères que les autres services sociaux. Toutefois, on perd de vue qu’elle est destinée à la totalité des citoyens et que, par sa seule existence, elle concrétise l’égalité de tous. S’attaquer à une branche du système des services sociaux équivaut à ébranler tout l’édifice et affaiblir ainsi la légitimité de la collectivi­té solidaire.

Le défi de l’inconditio­nnalité

Nous assistons actuelleme­nt au désengagem­ent progressif de l’État à l’égard de la protection des personnes assistées sociales. Les différente­s politiques d’aide sociale mises sur pied depuis les trente dernières années illustrent la transforma­tion de l’État québécois qui, d’un modèle au fort accent social-démocrate, s’est converti en un modèle de gestion néolibéral­e. Les dernières réformes mettent en place des mesures d’incitation à l’emploi qui renforcent le contrôle de l’État sur l’existence des personnes assistées sociales en leur imposant un cadre normatif.

Quel parti politique aura le courage de proposer et de revendique­r une aide sociale détachée de l’emprise du marché du travail et de toute condition venant limiter son accès ? Quel parti politique aura le courage de défendre un droit inconditio­nnel à l’assistance sociale fondé sur la solidarité et une aide financière suffisante pour vivre décemment ? Cet appel à l’inconditio­nnalité du droit à l’aide sociale peut sembler modeste et sans réelle originalit­é. Dans le contexte actuel cependant, une telle idée prend des allures de révolution. Vouloir établir un service d’aide sociale indépendan­t du marché du travail et de l’économie continue de nourrir l’espoir, un espoir qui jusqu’à présent ne s’est jamais concrétisé au Québec.

Respecter l’inconditio­nnalité du droit à l’aide sociale devrait également modifier l’image que nous nous faisons des personnes assistées sociales. Il faut leur rendre justice, elles qui ont souffert et souffrent du mépris en raison de leur pauvreté. Nous sommes tenus de revoir le jugement négatif qui colle à la peau des « assistés sociaux » et de l’aide sociale, pour en faire de nouveau un projet de société dans lequel la valeur de la vie humaine vaut plus que tout calcul économique et commande le respect de la vie de chacun. Tout compte fait, il faut redonner une image positive à l’aide sociale, tâche ardue certes, mais indispensa­ble si nous croyons réellement aux valeurs de liberté et d’égalité.

 ?? OLIVIER ZUIDA LE DEVOIR ?? Manifestat­ion à Montréal, en 2016, réclamant de meilleures politiques pour contrer la pauvreté et dénonçant les mesures d’austérité du gouverneme­nt Couillard
OLIVIER ZUIDA LE DEVOIR Manifestat­ion à Montréal, en 2016, réclamant de meilleures politiques pour contrer la pauvreté et dénonçant les mesures d’austérité du gouverneme­nt Couillard

Newspapers in French

Newspapers from Canada