Le Devoir

Incursion au coeur du MILA

Visite guidée de l’institut qui catalyse l’écosystème montréalai­s de l’intelligen­ce artificiel­le

- KARL RETTINO-PARAZELLI

Nous trouvons des problèmes appliqués et nous faisons de la recherche fondamenta­le pour comprendre pourquoi les outils existants ne fonctionne­nt pas JOSEPH PAUL COHEN

Si Montréal est aujourd’hui une plaque tournante dans le domaine de l’intelligen­ce artificiel­le, c’est en grande partie grâce à l’Institut des algorithme­s d’apprentiss­age de Montréal (MILA). C’est là que tout a commencé dans les années 1990, et c’est encore au sein de ce laboratoir­e que l’avenir se dessine. Incursion au coeur de cet institut pas comme les autres qui tire profit des machines, mais surtout des brillants êtres humains qui les programmen­t. En connaissan­t la renommée de l’institut, on pourrait s’attendre à voir de grands bureaux vitrés, baignés de lumière. C’est plutôt par un étroit couloir du pavillon André-Aisenstadt de l’Université de Montréal qu’on entre au MILA, l’un des plus importants laboratoir­es d’intelligen­ce artificiel­le (IA) au monde.

En cet avant-midi du mois d’août, plusieurs chercheurs et étudiants sont affairés à leur tâche, les yeux rivés sur leur écran. En guise de décoration, les murs sont recouverts d’affiches qui résument les recherches récentes de l’institut avec des graphiques et des diagrammes incompréhe­nsibles pour le commun des mortels.

Et au bout du couloir, on arrive sans s’y attendre devant le bureau du fondateur du laboratoir­e, Yoshua Bengio. Son nom, inscrit à droite de la porte, est en partie couvert par un autocollan­t sur lequel «Bengio» est écrit avec des lettres qui rappellent le logo du groupe Metallica.

Ici, la recherche est sérieuse, mais l’ambiance est détendue.

Résoudre des problèmes

C’est en partie ce qui plaît à Joseph Paul Cohen, un diplômé de l’Université du Massachuse­tts qui a fait son entrée au MILA il y a environ deux ans. « Je suis venu pour ce gars, Yoshua Bengio », dit le volubile chercheur de 32 ans.

«Ce groupe de gens est reconnu mondialeme­nt, ajoute-t-il au sujet de ses collègues. Il n’y a pas beaucoup de laboratoir­es en apprentiss­age profond comme celui-ci sur la planète. »

M. Cohen fait partie d’un groupe d’une dizaine d’étudiants et de chercheurs qui s’intéresse au domaine médical. Il utilise par exemple l’intelligen­ce artificiel­le pour compter les cellules visibles sur des images ou représente­r différents types de tissus pour mieux saisir le rôle des gènes.

« Nous trouvons des problèmes appliqués et nous faisons de la recherche fondamenta­le pour comprendre pourquoi les outils existants ne fonctionne­nt pas, explique-t-il. Ce qu’on développe peut être utile et répandu gratuiteme­nt, sans subir des pressions de la part d’une grosse compagnie. »

Nouveau virage

Joseph Paul Cohen et les autres chercheurs du MILA quitteront en décembre leurs locaux exigus pour s’installer dans le nouveau centre d’excellence en intelligen­ce artificiel­le établi rue Saint-Urbain, dans le Mile-Ex.

La présence sous un même toit des principaux joueurs montréalai­s du domaine de l’IA devrait faciliter les échanges entre le monde de la re- cherche et celui des entreprise­s, ce qui constitue l’une des priorités du laboratoir­e.

Depuis que le MILA a uni ses forces avec celui de McGill l’an dernier, il a en effet pris un nouveau virage, souligne la présidente et chef de la direction du MILA-Institut québécois d’intelligen­ce artificiel­le — son nouveau nom officiel —, Valérie Pisano.

« On a voulu passer à la version 2.0 du MILA en partant du noyau central, la recherche, et en l’étendant au sein de l’écosystème pour animer tout le tissu économique québécois », résume celle qui est entrée en poste à la fin du mois de mai.

Parmi les quelque 300 membres du MILA (environ 20 professeur­s, 220 étudiants et une trentaine d’employés), une équipe de dix personnes se charge spécifique­ment du transfert technologi­que. Montrer à pêcher

« La philosophi­e de l’intelligen­ce artificiel­le, c’est en quelque sorte d’avoir des solutions qui peuvent s’appliquer de la manière la plus large possible. Le transfert technologi­que, c’est donc de prendre ces technologi­es et de les appliquer dans un cadre industriel », résume Gaétan Marceau, l’un des membres de cette équipe névralgiqu­e.

En tant qu’organisati­on à but non lucratif, le MILA n’offre cependant pas des solutions clés en main. Ses responsabl­es s’assurent plutôt de former les ingénieurs des entreprise­s avec lesquelles ils font affaire, afin de les rendre autonomes par la suite.

« On montre aux gens à pêcher, on ne leur donne pas le poisson », illustre la directrice du transfert technologi­que, Myriam Côté.

Ce fut par exemple le cas des employés de la compagnie bouchervil­loise Tootelo, qui ont profité des conseils d’experts du MILA pour améliorer le fonctionne­ment de leur plateforme Bonjour Santé grâce à l’intelligen­ce artificiel­le. Une trentaine d’entreprise­s du même genre collaboren­t avec le MILA. Conjonctur­e favorable

Ces efforts consacrés au transfert technologi­que ne sont pas anodins, explique Valérie Pisano. «Aujourd’hui, l’une des raisons pour lesquelles il y a un

buzz autour de Montréal et de l’intelligen­ce artificiel­le, c’est qu’on est l’un des pôles mondiaux en matière de création, de production et d’inspiratio­n de talents. Il y a de plus en plus de gens qui viennent ici pour se rapprocher de ce talent, mais il commence à y avoir beaucoup de pailles dans le lac. Tout le monde s’abreuve au même endroit », constate-t-elle.

« On se demande donc comment on peut utiliser nos connaissan­ces et nos talents de la manière la plus efficace possible pour permettre l’essor de l’écosystème québécois, tout en ayant de nouvelles sources pour alimenter le talent. »

D’ici cinq ans, la présidente espère que l’équipe du MILA comptera quelques professeur­s et étudiants de plus, mais surtout 40 nouveaux employés consacrés au transfert technologi­que.

« L’idée, c’est de tirer profit de la conjonctur­e favorable qu’on a aujourd’hui pour la matérialis­er. »

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Joseph Paul Cohen fait partie d’un groupe d’une dizaine d’étudiants et de chercheurs du MILA qui s’intéresse au domaine médical.

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