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L’accès au sport pour les jeunes trans s’avère difficile |

L’accès aux activités sportives s’avère complexe pour les jeunes trans ou de genre neutre Les sports d’équipe, toujours structurés en fonction du sexe, ne sont pas encore adaptés à la réalité des jeunes trans ou non binaires.

- CAMILLE MARTEL

Les filles jouent avec les filles. Et les garçons avec les garçons. L’idée persiste dans les esprits, mais complique l’accessibil­ité aux sports pour les jeunes trans et plus encore pour les jeunes de genre neutre. Quand vient le temps d’intégrer une équipe, la segmentati­on du sport selon le sexe pose d’importante­s barrières à ces jeunes, et rien pour le moment ne leur assure une place.

On estime qu’environ 0,5 % de la population canadienne, soit un peu plus de 180 000 personnes, est constituée de personnes transgenre­s et non binaires. « Je ne sais pas s’il y en a plus qu’avant ou si c’est parce que nous vivons dans une société plus ouverte, mais certains chercheurs estiment même ce nombre à 3 % ou 4 % de la population », explique Alexandre Baril, professeur adjoint à la Faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa.

Sport et binarité

Pour les personnes transgenre­s et non binaires, le sport représente tout un défi, souligne ce dernier. « Il faut en parler puisque la question du sport fait partie intégrante de la santé. En plus, c’est tellement central [le sport] que ça pourrait vraiment être une bonne façon de déconstrui­re ces catégories-là. »

D’un côté, les transgenre­s peinent à intégrer une équipe qui correspond au genre auquel ils s’identifien­t. Quant aux personnes de genre neutre, elles sont exclues de la majorité des sports binaires. Selon le professeur, il faudrait catégorise­r les sports différemme­nt. On pourrait par exemple s’inspirer de la boxe, où les athlètes sont classés selon leur poids : « On n’aurait plus besoin du genre si on faisait ça. »

Mais repenser l’organisati­on du sport, est-ce vraiment nécessaire ? « Possibleme­nt, car ces changement­s sociaux demeurent imprévisib­les, répond le professeur. On ne sait pas s’il y aura de plus en plus de personnes trans ou si de plus en plus de gens vont rejeter la binarité. Il faut comprendre que ça va profiter à beaucoup de monde, pas seulement les trans, car beaucoup de gens n’entrent pas dans les définition­s faites par notre société. »

Aucun cadre réglementa­ire

En ce moment, il n’y a pas de cadre réglementa­ire précis au Québec ou même au Canada pour guider l’inclusion des jeunes trans et non binaires dans le sport. Ce sont les fédération­s sportives qui mettent sur pied leurs propres politiques, alors que des organismes non gouverneme­ntaux, comme le Centre canadien pour l’éthique dans le sport (CCES), font leurs recommanda­tions sur la question.

« Ce qu’on constate, c’est que les associatio­ns sportives ont vraiment besoin de directives là-dessus », indique Doug MacQuerrie, directeur de l’exploitati­on au CCES, qui a participé à l’élaboratio­n d’un guide pancanadie­n sur la question en 2016.

Certaines fédération­s sont plus enclines au changement que d’autres : « Je ne dirais pas que certaines réagissent négativeme­nt, mais il y en a qui sont plus rapides que d’autres, disons. »

Une des recommanda­tions du CCES est de « permettre aux jeunes trans de jouer dans la catégorie qui correspond à leur identité de genre ». Dans le cas d’un jeune non binaire, le CCES recommande de le laisser choisir l’équipe dans laquelle il veut jouer, et ce, sans que le jeune ait à prouver le genre auquel il appartient.

Au niveau profession­nel, comme aux Olympiques, les athlètes trans doivent la plupart du temps prouver qu’ils sont sous hormonothé­rapie depuis au moins un an et subir plusieurs tests médicaux pour démontrer leur transition vers l’autre sexe.

Dans le cas des jeunes trans, la situation est différente, car la plupart n’ont pas nécessaire­ment enclenché leur transition vers l’autre sexe, et leur refuser l’accès au sport, tout comme aux personnes de genre neutre, irait « à l’encontre des droits de la personne », note Doug MacQuerrie.

Il estime que les organisati­ons sportives ont tout intérêt à rapidement mettre sur pied des politiques envers les personnes trans et non binaires, car, selon lui, les gouverneme­nts seront plus enclins à verser des fonds aux fédération­s sportives qui ont des politiques allant de concert avec la Charte canadienne des droits et libertés.

Difficile de « jouer avec les filles »

Outre savoir vers quelle équipe se diriger, l’enjeu qui préoccupe les chercheurs dans le domaine est surtout celui des femmes trans. « C’est sûr que c’est ce qui retient l’attention en ce moment », lance d’emblée Guylaine Demers, professeur­e titulaire au Départemen­t d’éducation physique à l’Université Laval.

Les femmes transgenre­s sont mal vues par leurs consoeurs. «Les gens se disent que ces athlètes ont un avantage », explique la professeur­e, puisqu’elles sont nées avec le sexe masculin. Elle précise toutefois qu’aucune preuve scientifiq­ue ne confère un avantage physique significat­if à une femme trans : « On dit toujours que les femmes sont moins fortes que les hommes et, en sport, c’est encore plus marqué. Il faut déconstrui­re cette idée. »

De plus, les différence­s de performanc­es entre hommes et femmes sont difficiles à quantifier, ajoute Hilary Findlay, professeur­e en gestion du sport à l’Université Brock, en Ontario, et spécialist­e en réglementa­tion sportive. Selon elle, la question des hormones entre en jeu pour les personnes trans, notamment celles qui participen­t à des compétitio­ns à des niveaux profession­nels.

« Il y a des femmes trans qui se font dire qu’elles ont trop de testostéro­ne dans le sang pour réussir le test antidopage, mais si elles abaissent le niveau d’hormones, leur corps va cesser de fonctionne­r correcteme­nt. »

L’inégalité des chances dans le sport est monnaie courante, rappelle la professeur­e : « On tolère les différence­s individuel­les et les différence­s socioécono­miques. Il faut comprendre que, même dans une équipe constituée uniquement de femmes, l’égalité des chances n’est pas la même. »

Un guide attendu

Guylaine Demers de l’Université Laval travaille actuelleme­nt à un document, conjointem­ent avec le ministère de l’Éducation pour donner des directives sur l’intégratio­n des jeunes trans dans le système sportif québécois. L’objectif de ce document, qui devrait voir le jour d’ici l’hiver prochain, est de fournir des recommanda­tions aux fédération­s sportives, aux entraîneur­s et aux parents.

« C’est un début, mais beaucoup de gens l’attendent. Il faut penser qu’il y a une quinzaine d’années personne ne voulait toucher à ça », explique Guylaine Demers et le « temps presse », selon elle. Car « de plus en plus de jeunes trans commencent à prendre des bloqueurs d’hormones avant la puberté ».

Le Réseau du sport étudiant du Québec, qui fait la promotion du sport au Québec, dit être un acteur important sur la question de l’inclusion des jeunes trans et non binaires.

« Toutefois, il reste encore plusieurs éléments à définir», note le président-directeur général, Gustave Roel, notamment du côté du sport profession­nel. « On veut évidemment s’aligner sur les droits de la personne, mais plus le niveau compétitif augmente, plus certains enjeux se posent. Donc on attend de voir les recommanda­tions des organismes sur la question. »

Il y a des femmes trans qui se font dire qu’elles ont trop de testostéro­ne dans le sang pour réussir le test antidopage, mais si elles abaissent le niveau d’hormones, leur corps va cesser de fonctionne­r correcteme­nt HILARY FINDLAY

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