Le Devoir

L’heure est au bilan pour les libéraux

- FLORENCE SARA G. FERRARIS

Grande gagnante des dernières municipale­s, la mobilité risque, encore une fois, d’être l’une des figures centrales de la campagne électorale provincial­e. Mais alors que celle-ci s’amorce tout juste au Québec, l’heure est au bilan pour le gouverneme­nt Couillard. Survol en six points. MTQ : du transport à la mobilité

En quatre ans de règne libéral, ce ne sont pas moins de quatre ministres qui se sont succédé à la tête du ministère des Transports. Des changement­s qui, couplés aux restrictio­ns budgétaire­s des premières années libérales, ont, pour les experts interrogés par Le Devoir, ralenti la mise en oeuvre de nombreux projets sur le terrain.

« Sans entrer dans les détails, ces tergiversa­tions nous ont fait perdre beaucoup de temps », lance Philippe Cousineau Morin, le directeur de Trajectoir­e Québec, un groupe de pression actif dans tous les dossiers de transport collectif. Selon lui, il aura en fait fallu attendre 2016, avec le départ du ministre Robert Poëti et le changement de nom du ministère [auquel se sont ajoutées la Mobilité durable et l’Électrific­ation des transports] pour que les choses commencent vraiment à bouger. « Ç’a été un véritable tournant, une première étape vers la modernisat­ion de ce vieux ministère. »

Un avis que partage le directeur général de Vivre en ville, Christian Savard. « Il y a eu beaucoup de procrastin­ation au cours de ce mandat, laisse-til tomber, un brin découragé. Il y a des projets qui sont sur la table depuis des années. On peut penser au prolongeme­nt de la ligne bleue, par exemple. Les études de faisabilit­é sont faites, le projet est budgété, voulez-vous bien me dire ce qu’on attend ? »

Politique de mobilité durable : une pierre d’assise inespérée

Projet phare du gouverneme­nt Couillard, la Politique de mobilité durable (PMD), présentée comme « la baie James de notre époque » en avril dernier par le premier ministre, a été très bien accueillie par le petit écosystème du transport québécois.

« On va se le dire, il était temps, lance sans ambages Christian Savard, de Vivre en Ville. La PMD, avec l’argent qui vient avec [près de 3 milliards de dollars], c’est la reconnaiss­ance — enfin ! — par le gouverneme­nt que la mobilité est un chantier important, voire même incontourn­able.» «C’est un tour de force qu’on n’attendait plus, renchérit Philippe Cousineau Morin. Et en gros, ce qu’elle nous apprend, c’est que le

statu quo n’est plus une option envisageab­le: les gens sont tannés, on ne peut plus reculer. »

Ambitieuse, cette politique comprend dix cibles variées qui tendent, du même coup, à faciliter la mobilité des citoyens aux quatre coins de la province, à réduire les temps de déplacemen­t et à limiter l’empreinte carbone due aux transports de personnes et de marchandis­e, pour ne nommer que ceux-là. Le tout d’ici 2030. Reste maintenant à voir comment les villes et municipali­tés, véritable ligne de front de la mobilité, réussiront à se l’approprier et à la mettre en oeuvre.

Transports collectifs : des projets et des factures

Réseau express métropolit­ain, réseau structuran­t de la Ville de Québec, ligne rose à Montréal, lien rapide à Gatineau… Les derniers milles du gouverneme­nt libéral ont été marqués par de nombreuses demandes — mais également des annonces — de projets de transport collectif. Des projets qui, dans un contexte où la congestion routière n’a jamais été aussi paralysant­e, tombent à point, au dire des observateu­rs.

« C’est encouragea­nt de voir que tout le monde veut sa part du gâteau, souligne le président de Trajectoir­e Québec. Et de savoir que le gouverneme­nt est ouvert à aller de l’avant dans plusieurs dossiers. On n’est plus à l’époque d’“un à la fois” ». Maintenant, il faut voir où on va prendre l’argent. »

Car ces idées, si elles se concrétise­nt, nécessiter­ont d’importants investisse­ments. Par exemple, les six projets approuvés depuis le début de l’année 2018 à Montréal et à Québec totalisent, à eux seuls, des dépenses de 8 milliards de dollars. Une somme qui, couplée à toutes celles nécessaire­s pour la mise en chantier des autres projets promis, dépasse largement celle disponible actuelleme­nt.

« Il va falloir que le prochain gouverneme­nt, peu importe son allégeance politique, s’attaque rapidement au cadre financier du transport collectif, affirme Christian Savard. Ça ne veut pas dire reculer ou abandonner des projets. Il faut continuer à avancer, mais il faudra impérative­ment trouver de nouveaux moyens — de l’écofiscali­té peutêtre ? — pour le faire. »

CSR : une refonte en demi-teinte

Annoncée en tout début de mandat, quelques semaines à peine après le décès tragique de la cycliste Mathilde Blais à Montréal, la refonte du Code de la sécurité routière (CSR) aura finalement pris près de quatre ans pour aboutir. Et ce nouveau CSR a reçu un accueil plutôt tiède. Les attentes étaient trop élevées? «Sans aucun doute, lance la présidente-directrice générale de Vélo Québec, Suzanne Lareau. Il n’est pas complèteme­nt mauvais, mais nous aurions aimé qu’il aille beaucoup plus loin. »

Elle salue tout de même l’inclusion d’une distance de dépassemen­t, de même que l’ajout de constats d’infraction­s pour les emportiéra­ges. Cette cycliste aguerrie déplore toutefois le manque de vision de la nouvelle mouture du CSR. « On est à une époque où on veut que les gens se déplacent moins en voiture, qu’ils optent pour des modes plus doux, comme le vélo, expose-t-elle. Or, il n’y a rien dans ce document qui incite à la pratique, au contraire. Les peines prévues à l’endroit des cyclistes n’ont jamais été aussi élevées. Dans le contexte environnem­ental actuel, c’est un drôle de message à envoyer. »

Pour Christian Savard, il aurait également été sage d’y inclure les principes de la vision zéro, afin de réduire le désastreux bilan routier.

Transport interrégio­nal : urgence de rattrapage

Les dernières années ont été particuliè­rement difficiles en matière de transport pour les régions éloignées. Plus isolées que jamais depuis la mise à mort du service d’autobus dispensé jusqu’alors par Orléans Express, elles ont été forcées, au cours des quatre années qui viennent de s’écouler, de se réorganise­r, et bien souvent avec les « moyens du bord ».

Il faut toutefois reconnaîtr­e qu’elles sont bien présentes dans la nouvelle Politique de mobilité durable dévoilée à la mi-avril. Reste maintenant à leur donner des moyens financiers adéquats pour qu’elles puissent améliorer rapidement — et de manière pérenne — les services de transport collectif sur leur territoire.

À plus grande échelle, le Sommet sur le transport aérien régional a permis au gouverneme­nt libéral de mettre le doigt sur les différents enjeux et défis avec lesquels doivent composer les régions éloignées, et de récolter des pistes de solutions. Encore une fois, c’est le financemen­t qui demeure le nerf de la guerre.

Électrific­ation : la lenteur des usagers ?

Lancé en grande pompe à l’automne 2015, le Plan d’action en électrific­ation des transports 2015-2020 était, déjà à cette époque, jugé bien ambitieux, notamment en raison de son objectif d’atteindre « un nombre de 100 000 véhicules électrique­s et hybrides rechargeab­les » d’ici 2020. Et ces éteignoirs n’avaient pas tort : à deux ans de la date butoir, les données compilées en date du 1er juin dernier par la Société de l’assurance automobile du Québec indiquent qu’à peine un peu plus de 30 000 véhicules du genre circulent présenteme­nt sur les routes.

Ce n’est pourtant pas parce que le déploiemen­t à grande échelle du réseau public de bornes électrique­s ne va pas rondement. De fait, alors qu’il n’y avait que 450 stations de recharge en 2015, on en compte aujourd’hui plus de 1400, la plupart réparties dans des corridors de transit stratégiqu­e pour faciliter les déplacemen­ts. Les efforts du côté du transport collectif et de marchandis­es commencent eux aussi à payer, mais ils devront être plus nombreux au cours des deux prochaines années pour atteindre les objectifs fixés.

Il est à noter que le Parti libéral du Québec a été invité à porter un regard rétrospect­if sur son mandat, mais n’a toutefois pas donné suite aux demandes d’entrevues du Devoir.

Il va falloir que le prochain gouverneme­nt, peu importe son allégeance politique, s’attaque rapidement au cadre financier du transport collectif. Ça ne veut pas dire reculer ou abandonner des projets. Il faut continuer à avancer. CHRISTIAN SAVARD

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Projet phare du gouverneme­nt Couillard, la Politique de mobilité durable, présentée en avril dernier par le premier ministre, a été très bien accueillie par le petit écosystème du transport québécois.

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