Le Devoir

Les Cris de Waswanipi en colère

La communauté entend perturber la circulatio­n sur la route de la Baie-James pour revendique­r la protection de leur territoire que lui refuse Québec

- LISA-MARIE GERVAIS

Devant les récentes décisions de Québec, la colère monte d’un cran chez les Cris de la Baie-James. Exaspérés de voir que le gouverneme­nt Couillard n’accède toujours pas à leur demande de protéger de manière permanente l’une des dernières zones vierges de la forêt boréale du Québec située sur leur territoire, la communauté de Waswanipi et ses sympathisa­nts doivent tenir lundi une manifestat­ion pour perturber la circulatio­n au kilomètre 105 de la route de la Baie-James, peu après Matagami dans le Nord-du-Québec.

« On veut faire passer un message au monde. On n’est pas contre une loi ou une compagnie en particulie­r, on veut juste protéger notre territoire de l’exploitati­on [industriel­le]», lance Don Saganash, un maître de trappe du secteur. « Ça fait plus d’une décennie qu’on se bat et on voit l’impact négatif que ça a eu au sud avec les coupes à blanc. »

Il réagissait ainsi aux récentes publicatio­ns dans la Gazette

officielle du ministère du Développem­ent durable, de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s (MDDELCC), qui ne prévoit pas pour cette année de protection permanente de la zone de la forêt Broadback, appelée Mishigamis­h, que les Cris de Waswanipi veulent absolument protéger. Celle-ci représente les derniers 10 % de forêt boréale intacte de leur territoire ancestral. « On ne demande pas grand-chose, c’est juste un petit espace, mais qui fait partie de notre mode de vie », ajoute le trappeur, qui a grandi sur cette terre. « Les forestière­s nous en ont déjà pris 90 %, alors on veut sauver ce qu’il reste pour la prochaine génération. »

La situation est en train de s’envenimer, à un point tel que certains la comparent à la crise d’Oka. « La manifestat­ion de lundi va être une avant-première de jusqu’où ça peut aller », a indiqué au Devoir de manière anonyme, une personne bien au fait du dossier.

Toujours pas de protection

En 2015, une entente sur la gestion des opérations forestière­s a été conclue entre le gouverneme­nt du Québec et le Grand Conseil des Cris, ces derniers voulant protéger certains de leurs territoire­s de chasse et de pêche des coupes d’arbres.

Le 22 août dernier, dans un arrêté publié dans la Gazette officielle, trois territoire­s de la région de Waswanipi ont obtenu un « statut provisoire »

Mais la zone d’environ 4500km2 du nord de la forêt Broadback, qui est au coeur des actuelles revendicat­ions de la nation de Waswanipi, n’en faisait pas partie. À la demande de la communauté de Waswanipi, une annexe a finalement été ajoutée in extremis, donnant un statut de protection provisoire, le temps que se poursuiven­t les discussion­s entre les ministères qui défendent les intérêts miniers et forestiers et les Cris.

Or, une seule réunion aurait eu lieu à la fin 2015, selon Allan Saganash Jr, qui a récemment pris sa retraite comme coordonnat­eur du départemen­t forestier de la nation crie de Waswanipi. Et le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs en aurait été absent. Il y a exactement un an, le plan quinquenna­l du gouverneme­nt, qui montrait que l’exploitati­on à l’intérieur de la limite du bassin versant de Broadback pourrait être permise à terme, a été dévoilé… et a mis le feu aux poudres. «Quand tu vois la carte du plan sur cinq ans, il y a encore des blocs d’exploitati­on et des routes dans la zone protégée. Mais pourquoi ? Pourquoi ne pas les enlever tout de suite ? », s’est indigné Allan Saganash Jr. « Il y a quelque chose qu’ils savent et que, nous, on ne sait pas. »

Le 22 août dernier, dans un arrêté publié dans la Gazette officielle, trois territoire­s de la région de Waswanipi ont en effet obtenu un « statut provisoire », et non permanent, de protection et un porte-parole du MDDELCC a confirmé qu’« il y a encore des discussion­s à avoir pour répondre à la demande de Waswanipi. »

Des discussion­s doivent être en cours entre le gouverneme­nt cri, celui du Québec et quelques organisati­ons comme Greenpeace. Or, selon Allan Saganash Jr, non seulement les discussion­s sont au point mort, mais il déplore que les Cris de Waswanipi aient été laissés de côté, notamment par le Grand Conseil des Cris, supposémen­t son allié. La mobilisati­on bat de l’aile. « Ça fait au moins 15 ans qu’on parle de ça et, chaque fois qu’il y a une nouvelle administra­tion crie, c’est à recommence­r. On n’a pas toujours le soutien qu’on devrait avoir d’eux », dit-il. « Ce ne sont pas eux qui devraient faire les consultati­ons, ce devrait être nous ! On est fatigués de ne pas être entendus. »

Don Saganash est aussi fatigué de prêcher dans le désert… d’une forêt sans arbres. « J’essaie de toutes les façons d’expliquer l’importance de protéger notre territoire aux gens. C’est notre territoire, c’est nous. Si tu vis comme notre nation, tu vas comprendre de quoi on parle. Sauf que le gouverneme­nt, lui, il ne comprendra pas même si on lui parle dans sa langue. »

Il craint que l’exploitati­on fasse fuir les animaux, en particulie­r les caribous, et contamine les plans d’eau, comme ce fut le cas pour la zone au sud. « Là-bas, même les oiseaux sont partis ! »

Allan Saganash Jr se souvient d’avoir grandi dans cette forêt vierge, sans route ni exploitati­on, où sa famille allait chasser. Dans les années soixante, à son retour dans sa communauté après ses études, la porte s’entrouvrai­t alors à l’industrie forestière. « Ne pas protéger Broadback, ce serait rouvrir la porte qui a été ouverte dans les années 1960», souligne-t-il. «C’est pour ça qu’on va manifester [lundi]. On veut fermer cette porte ouverte depuis plus de 50 ans. »

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