Tout ou rien ?
Depuis le début de la renégociation de l’Accord de libreéchange nord-américain (ALENA) il y a 13 mois, les négociateurs nagent en eaux troubles, à la merci des sautes d’humeur et des idées fixes du président américain, Donald Trump. Menaces et ultimatums se succèdent, rendant difficile d’avoir l’heure juste. Mais le Canada tient son bout. Et il le faut. Après la conclusion d’un accord bilatéral entre les États-Unis et le Mexique à la fin août, le président Trump était catégorique. Le Canada devait adhérer à l’entente dans les jours qui suivaient, sinon il resterait à l’écart. Et si le Congrès refusait d’accepter un accord excluant le Canada, il mettrait fin à l’ALENA.
La première date butoir du 31 août est passée sans que le ciel nous tombe sur la tête. Les pourparlers se poursuivent avec pour cible, cette fois, la date du 1er octobre. Passé cette date, le Congrès américain n’aurait plus le temps d’entériner l’accord avant le 1er décembre, jour du départ du président mexicain, Enrique Peña Nieto, le signataire de l’entente.
Le Canada a refusé de céder devant les coups de gueule du président américain, non sans raison. Sans prendre Donald Trump à la légère, Ottawa a une carte importante dans sa manche : le calendrier politique américain.
Les élections de mi-mandat, le 6 novembre prochain, pourraient faire perdre aux républicains leur majorité au Sénat. Cela influerait sur l’évaluation de tout éventuel accord, surtout s’il excluait le Canada de l’ALENA. Cette éventualité se heurte à de l’opposition dans les rangs démocrates, mais aussi républicains. Le Canada a refusé de céder devant les coups de gueule du président, non sans raison. Sans prendre Donald Trump à la légère, Ottawa a une carte importante dans sa manche : le calendrier politique américain. Donald Trump a beau clamer qu’il peut en faire à sa tête, il n’a pas tous les pouvoirs en matière de commerce. Le Congrès doit être dans le coup. Pour entreprendre une négociation commerciale en vertu du processus accéléré qui oblige le Congrès à accepter ou à rejeter un accord en bloc sans pouvoir l’amender, le président doit obtenir l’autorisation du Congrès. Il l’a eue pour renégocier l’ALENA, pas pour négocier un accord bilatéral avec le Mexique. M. Trump n’a donc pas l’assurance que le Congrès accepterait de dévier de la route convenue.
Par conséquent, les négociations continuent parce que Donald Trump sait que l’exclusion du Canada pourrait mener à un échec qu’il ne peut se permettre, la renégociation de l’ALENA étant une de ses promesses phares de la dernière campagne. Il a plus de chance de gagner son pari avec le Canada à bord. Bref, il a besoin du Canada.
Cela ne facilite pas pour autant la tâche des négociateurs canadiens. Les Américains ont des idées bien arrêtées sur les concessions attendues du Canada et ce dernier, sur ce qu’il veut préserver. Le premier ministre Justin Trudeau joue la carte de la fermeté en répétant qu’il préfère ne pas avoir d’accord plutôt qu’obtenir un mauvais accord.
Les éléments auxquels il tient absolument sont le maintien d’un mécanisme de règlement des différends (MRD) digne de ce nom pour se protéger contre l’arbitraire américain. Donald Trump veut que les tribunaux américains tranchent les litiges et le Mexique a cédé sur ce point. L’obtention d’un MRD était pourtant la raison d’être du premier accord de libreéchange canado-américain !
Ottawa tient aussi à l’exemption culturelle globale que le Mexique a accepté d’affaiblir. La préservation de cette exemption est essentielle, selon la Coalition pour la diversité des expressions culturelles, pour éviter que les dispositions sur le commerce électronique servent de cheval de Troie pour bloquer des mesures en faveur du contenu canadien sur les plateformes étrangères.
Reste la gestion de l’offre, que Donald Trump rêve de voir démanteler. On s’attend malheureusement à des concessions du Canada similaires à celles faites dans le cadre de l’accord conclu avec l’Union européenne. Il n’est toutefois pas question d’abandonner un système ordonné de la production laitière pour permettre aux producteurs américains d’écouler ici des surplus qu’encouragent les subventions et le laisser-faire de leur gouvernement.
Le gouvernement doit rester ferme sur ces fronts, mais on ne peut nier que l’absence d’entente aurait un impact négatif important sur toute l’économie canadienne. Le Canada gagne du temps. Il doit persister dans cette voie pour, il faut quand même l’espérer, en arriver à un accord satisfaisant. On dit bien un accord, pas une capitulation.