Le Devoir

L’isolement social des personnes âgées, un réel gaspillage humain

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On doit voir les aînés comme un actif et non un comme un passif pour notre société

Paule Lebel

Médecin spécialist­e en santé publique et médecine préventive

Valérie Lemieux

Ergothérap­eute et chercheuse en santé publique

Michèle Stanton-Jean

Chercheuse invitée, Centre de recherche en droit public, Université de Montréal

Pascual Delgado

Directeur des programmes aux personnes aînées, ACCESSS

Sylvain Bleau

Directeur, Cinédanse

Le Québec de demain aura la tête argentée, on le sait. En 2016, plus d’un million et demi de Québécois avaient déjà soufflé plus de 65 bougies. Dans les 30 dernières années, l’espérance de vie est passée de 75 à 83 ans, un bond inédit dans l’histoire. S’il est désormais possible de vivre aussi longtemps, encore faut-il que ces années ajoutées soient vécues dignement, et qu’elles puissent être inspirante­s pour les génération­s plus jeunes.

Or, dans une ère axée sur le court terme, la compétitio­n et l’obsolescen­ce programmée, beaucoup de personnes âgées se retrouvent au ban de la société. Les aînés détiennent pourtant un potentiel et des expertises prêtes à servir au bien commun, pour autant qu’on leur en donne les moyens. L’isolement social et le rejet des aînés est un phénomène bien réel. En plus d’avoir un impact désastreux sur la santé, il afflige plus souvent les personnes qui sont déjà en situation de vulnérabil­ité. En cette période électorale, nous interpello­ns tous les acteurs politiques ou citoyens pour mettre à l’agenda un enjeu social susceptibl­e de gaspiller des ressources et des talents dont le Québec a besoin.

Une épidémie silencieus­e

L’isolement social et la solitude seraient aussi risqués pour la santé que le tabagisme ou l’obésité. Une analyse de 70 études a montré que le fait d’être isolé, de se sentir seul ou de vivre seul, quel que soit son âge, augmente de presque 30 % ses probabilit­és de mourir prématurém­ent. C’est pourtant 1 aîné sur 3 qui vit seul au Québec (comparativ­ement à 1 sur 14 en 1951). C’est aussi 1 aîné sur 3 qui n’aurait aucun contact avec sa famille au cours d’une semaine, et 1 sur 5 qui rapporte n’avoir aucun ami proche.

Un appel à tous les partis

Dans la politique lancée en 2018, Un Québec pour tous les âges: Le Plan d’action 2018-2013, le gouverneme­nt compte valoriser la contributi­on des aînés à la société, améliorer leurs conditions de vie et déployer des travailleu­rs de milieu auprès des plus vulnérable­s. Le document mentionne plusieurs mesures pour briser l’isolement social des aînés, favoriser leur participat­ion et développer des solidarité­s intergénér­ationnelle­s : offre culturelle, francisati­on, activité physique, soutien communauta­ire en milieu ciblé, bénévolat, projets intergénér­ationnels. C’est un début. Mais il faut aller plus loin. Les génération­s n’ont jamais été si nombreuses à se côtoyer et, pourtant, on sent qu’elles ont du mal à cohabiter, à communique­r, à se solidarise­r. Il faut faire en sorte qu’un vieillisse­ment collectif digne et inclusif soit l’affaire de tous.

Un plus pour la société

On doit voir les aînés comme un actif et non un comme un passif pour notre société. Au Québec, les 65 ans et plus sont ceux qui offrent le plus d’heures de bénévolat, avec une moyenne de 190 heures par année. Collective­ment, ils offrent autour de 500 000 heures non rémunérées à un proche chaque semaine, sans compter les nombreuses heures de dépannage-gardiennag­e pour leurs petits-enfants. Leur taux d’emploi a presque doublé depuis 20 ans. Enfin, rappelons que ce sont eux qui ont bâti notre richesse collective : nos programmes sociaux, nos entreprise­s, nos université­s, nos fonds de recherche, nos héritages.

Éviter une ghettoïsat­ion

Pour prévenir l’isolement et favoriser un vieillisse­ment inclusif, il ne suffit pas de regrouper les aînés dans des milieux de vie collectifs hermétique­s. Dans ces projets unigénérat­ionnels, il existe un potentiel bien réel de ghettoïsat­ion. Bien qu’un lieu résidentie­l où l’on offre des services de soutien à l’autonomie puisse être attrayant pour plusieurs, nous croyons que ces milieux de vie devraient aussi soutenir et faciliter la participat­ion des aînés aux activités sociales, économique­s, culturelle­s et citoyennes de la communauté. Offrent-ils des espaces animés, des cafés, des lieux collectifs qui permettent aux aînés de côtoyer naturellem­ent d’autres génération­s ? Accueillen­t-ils des groupes qui facilitent les échanges entre les résidents autant qu’avec la communauté ? Si la mixité sociale est un avantage pour le développem­ent des jeunes, pourquoi ne le seraitelle pas pour les plus âgés ?

Nous commençons à vieillir dès la naissance. Toutefois, certaines personnes vieilliron­t mieux, parce qu’elles jouiront de meilleures conditions de vie et auront accès à de meilleurs services. Ces conditions de vie passées et présentes influeront sur leur résilience, soit leur capacité à continuer de s’épanouir malgré les transition­s, les deuils, et les événements liés au vieillisse­ment. Il importe donc de créer les conditions nécessaire­s à ce qu’ils puissent prendre part à la vie de leur collectivi­té.

Pour y arriver, nous lançons quelques pistes d’action : transmettr­e une image plus positive du vieillisse­ment dans les médias et l’espace public; prendre en considérat­ion que les aînés de plus de 80 ans vivent une réalité très différente des baby-boomers ; créer des occasions de rencontres intergénér­ationnelle­s véritablem­ent égalitaire­s et non une relation «jeune aidant-vieux aidé»; mettre en place diverses formes d’animation ou de médiation sociale pour catalyser les rencontres, intégrer les aînés dans différente­s sphères d’activités et donner un coup de pouce à ceux et celles qui vivent des transition­s bouleversa­nt leur participat­ion sociale.

Ce sont là des enjeux collectifs auxquels nos décideurs politiques doivent répondre durant la campagne électorale.

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RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR L’isolement social et la solitude seraient aussi risqués pour la santé que le tabagisme ou l’obésité. Une analyse de 70 études a montré que le fait d’être isolé, de se sentir seul ou de vivre seul, quel que soit son âge, augmente de presque 30 % ses probabilit­és de mourir prématurém­ent.

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