Le Devoir

Les promesses et les ambitions de QS décortiqué­es

Le parti se permet un rêve pragmatiqu­e, mais le temps et l’argent risquent de lui manquer

- FLORENCE SARA G. FERRARIS

Enjeux phares de la campagne électorale en cours, la mobilité et les transports sont au coeur des débats et des récentes annonces des principale­s formations politiques québécoise­s. Mais ces promesses ont-elles de quoi tenir la route après le 1er octobre ? Le Devoir poursuit aujourd’hui une série de quatre articles, un par parti, pour faire le point. Cette semaine : Québec solidaire.

Den grande pompe la semaine dernière, le plan de transport de Québec solidaire (QS) pour le Grand Montréal est particuliè­rement ambitieux.

Transport collectif : des ambitions plutôt réalistes

Prolongeme­nt des quatre lignes de métro déjà existantes, ajout d’une ligne rose, implantati­on d’un tramway dans l’est de la ville et sur la Rive-Sud, d’un service de bus rapide à Laval… les projets ne manquent pas et s’éclatent aux quatre coins de la métropole et de ses environs.

Ambitieux donc ? Certes. Mais irréaliste ? « Pas tout à fait, lance, un sourire dans la voix, le directeur général de Vivre en ville, Christian Savard. Leur plan est sans doute celui qui se rapproche le plus de la planificat­ion régionale des dernières années. Dans certains cas, il y a même des projets qui pourraient commencer dès le lendemain des élections. » Un avis que partage Florence Junca-Adenot, professeur­e au Départemen­t d’études urbaines de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). «Quand on regarde le plan de QS, on constate qu’ils couvrent très bien tout le territoire, ils ont ciblé les besoins et proposent des solutions qui se tiennent », explique la directrice du Forum URBA 2015.

Là où le bât blesse, c’est du côté de l’échéancier, le parti s’étant donné à peine douze ans pour réaliser le tout. «Une mise en service de toutes ces lignes d’ici 2030 est impossible, soutient Christian Savard. Par contre, un réseau de transport collectif devrait toujours être en mouvement, en constante expansion. Avoir autant de projets sur la table, c’est encouragea­nt : ça veut dire que les bureaux de projets demeureron­t actifs et que les enveloppes budgétaire­s seront constammen­t renouvelée­s. Ça veut dire qu’on se donne les moyens d’avancer. »

Tarificati­on : la bonne cible ?

En plus de vouloir bonifier les services, le parti s’engage également à offrir des transports publics à moitié prix. Promesse phare de leur Plan de transition économique, cette mesure permettrai­t, selon eux, d’augmenter l’achalandag­e. « C’est une mesure que nous souhaitons implanter rapidement, précise la candidate solidaire dans la circonscri­ption de Mercier, Ruba Ghazal. On veut le faire en attendant de pouvoir intervenir de manière significat­ive sur les réseaux pour pouvoir améliorer les services offerts. »

Cette idée relève toutefois du mirage, soutient Ugo Lachapelle, professeur au Départemen­t d’études urbaines de l’UQAM. « Une telle réduction n’aura pas nécessaire­ment un effet important sur l’augmentati­on de l’achalandag­e à long terme et sur la création de nouveaux utilisateu­rs, explique celui qui s’intéresse particuliè­rement aux politiques de transport dans une perspectiv­e de justice sociale. C’est un service accru là où il est déficient et moins compétitif avec un déplacemen­t en automobile qui stimule les gens à faire le saut. »

Et il ne faut pas oublier, renchérit Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie, que « le service est déjà au maximum de sa capacité» dans de nombreuses portions de la métropole. «Ce qu’il faut améliorer lorsqu’on veut augmenter la part modale du transport collectif, c’est la fréquence, la ponctualit­é, la rapidité et le confort du service. Le prix n’a que très peu d’impact sur l’usage. » Plus encore, en réduisant ces sommes de moitié, c’est au budget d’exploitati­on que le parti s’en prend, rappelle Florence Junca-Adenot. « Je ne suis pas contre la vertu, mais il va falloir penser à qui va payer ? Est-ce qu’on va encore refiler la facture aux municipali­tés ? »

Au mieux, notent les experts, le parti pourrait proposer une tarificati­on sociale qui permettrai­t aux plus démunis d’accéder plus facilement aux transports collectifs.

Électrific­ation : l’envers de la médaille

Le parti souhaite aussi accélérer le passage des Québécois vers des véhicules électrique­s et hybrides, notamment en interdisan­t la vente de voitures à essence à compter de 2030. Et à court terme, QS entend instaurer un système de bonusmalus, afin de récompense­r ceux qui optent déjà pour des véhicules verts et de « punir » ceux qui ne le font pas.

« L’idée est de mettre sur pied un système intelligen­t basé sur les réalités financière­s, domestique­s et géographiq­ues des citoyens, indique Ruba Ghazal. Nous sommes bien conscients que les véhicules électrique­s ne sont pas encore accessible­s pour tout le monde et que certaines personnes, comme celles qui vivent en région éloignée, ont besoin d’une voiture pour pouvoir opérer au quotidien.» Dans cette optique, une famille de six habitant en région, par exemple, aurait droit à une aide plus importante qu’un adulte vivant seul à côté d’une station de métro lors de l’achat d’un véhicule.

Cette idée est toutefois loin de faire l’unanimité, la plupart des experts interrogés par Le Devoir estimant que la formation politique rate sa cible en s’attaquant au «type» de véhicules, plutôt qu’aux véhicules eux-mêmes. « Le problème c’est qu’il y a trop de voitures sur les routes, affirme Pierre-Olivier Pineau. À long terme, ce plan aura peut-être un impact sur notre facture énergétiqu­e, mais ça reste une manière d’encourager les gens à continuer d’acheter des voitures, à continuer de se déplacer en auto solo. »

Pire, rajoute le professeur, une telle mesure risque d’encourager l’étalement urbain, puisque ce sont ceux qui habiévoilé tent le plus loin qui bénéficier­ont réellement d’un tel programme. « Mieux vaut proposer des solutions innovantes pour les régions, comme du covoiturag­e commercial, plutôt que de financer l’achat de véhicules. » En ce sens, la formation politique indique toutefois que des annonces devraient être faites au cours des prochaines semaines.

Financemen­t : les limites du système

Ces nombreux projets ne se paieront toutefois pas tout seuls. D’autant que, à lui seul, le plan métropolit­ain nécessiter­a des investisse­ments de près de 26 milliards de dollars sur douze ans. Pour y arriver, le parti entend tabler sur les budgets déjà existants dans le Plan québécois des infrastruc­tures et sur le Fonds consolidé du revenu (taxes et impôts). Une partie des sommes nécessaire­s sera également puisée à même le Fonds vert, une enveloppe destinée aux déploiemen­ts de mesures favorisant le développem­ent durable.

En outre, la formation politique compte mettre un frein à tous les nouveaux projets autoroutie­rs, à l’exception de ceux qui permettent de désenclave­r les régions éloignées. Le parti entend donc récupérer ces sommes pour les investir dans le développem­ent des infrastruc­tures collective­s.

Un gouverneme­nt solidaire n’irait donc pas de l’avant avec les projets de prolongati­on autoroutiè­re sur la RiveNord de Montréal, ni avec ceux d’élargissem­ent sur la Rive-Sud, et encore moins avec la création de nouveaux tronçons, comme le troisième lien à Québec. « Il y a quelque chose de profondéme­nt anachroniq­ue à vouloir encourager ce type de projets en 2018, affirme sans hésitation Ruba Ghazal. Pour nous, il est clair que les transports du XXIe siècle doivent être collectifs. »

Cela risque toutefois de ne pas être suffisant pour mener à bien les ambitions de Québec solidaire, soulignent d’une même voix les experts consultés par Le

Devoir. «Pourquoi ne pas oser parler d’écofiscali­té, demande Pierre-Olivier Pineau. Je sais que ce n’est pas quelque chose qui est populaire en campagne électorale, mais il faut arrêter de mentir à la population en lui disant qu’on peut toujours faire plus avec moins. Si on veut améliorer le transport collectif, il faut prendre de l’argent quelque part. Et dans une optique de lutte contre les changement­s climatique­s, il serait tout à fait normal de faire payer davantage ceux qui polluent le plus. »

L’ordre des analyses a été déterminé par un tirage au sort. Comme la campagne électorale est en cours, il est possible que de nouvelles annonces en transport soient faites dans les prochaines semaines.

26 milliards

C’est l’approximat­ion des investisse­ments que Québec solidaire devra faire sur douze ans pour financer son plan métropolit­ain.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR / PHILIPPE DOUCET GETTY IMAGES La promotion active des véhicules électrique­s et hybrides ainsi que le prolongeme­nt des quatre lignes de métro existantes figurent parmi les promesses de Québec solidaire en matière de transports.
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La co-porteparol­e de QS Manon Massé

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