La science de la blague selon Roman Frayssinet, humoriste français d’origine et montréalais de coeur
« Tu peux écrire dans l’article que je lui ai déjà sauvé la vie ? » demande l’humoriste Anas Hassouna afin d’endiguer la douche de vannes que son ami et collègue Roman Frayssinet fait pleuvoir sur lui depuis quelques instants déjà.
Descendu de l’avion il y a deux heures à peine, Frayssinet, 24 ans, Français d’origine et Montréalais de coeur, tient salon en compagnie des membres de son vaste entourage en ce vendredi après-midi de gros soleil sur la terrasse d’un bar, juste à côté du Kahwa Café, son quartier général. Et même si tous ses potes ont forcément déjà entendu mille fois l’anecdote, Roman Frayssinet entreprend avec un plaisir palpable de raconter à nouveau comment Anas, son ancien coloc, lui a déjà — oui, oui — sauvé la vie.
« Ce matin-là, j’étais tellement heureux ! Et je déclare comme ça, dans le salon: “Je ne sais pas ce que j’ai aujourd’hui, mais je suis jovial.” Puis je sors sur le balcon, un monsieur passe dans la rue, je le regarde et lui, il n’est pas jovial, mais vraiment pas. Il me dit : “Qu’est-ce qu’il y a ?” “Rien du tout”, que je lui réponds, et je lui lance, pendant qu’il s’en va, un “Bonne journée monsieur !”, avec un ton peut-être un peu provocateur [donc très provocateur]. Finalement, il revient super fâché et il dégaine un couteau. Anas est arrivé juste au bon moment et il m’a fait entrer ! Heureusement, parce que j’allais le niquer ! » Éclat de rire colossal et généralisé ; Roman Frayssinet a l’air de bien des choses, mais pas d’un courageux bagarreur.
L’incident ternira évidemment la journée du comique en herbe qu’il était alors, mais pas la jovialité inentamable, digne d’un motivateur personnel, de celui qui nous présente chacun des membres de son équipe (du studio de création Fishnet) en vantant leur connaissance intime de la « science de la blague », jolie formule lui permettant de souligner qu’ils souscrivent tous à cette valeur cardinale qu’est l’autodérision. « Ces garslà, ce sont mes humoristes perso », explique-t-il, visiblement le plus beau compliment qu’il puisse offrir.
Entre Paris et Montréal
Tout change quand Roman Frayssinet rencontre Adib Alkhalidey au Kahwa Café, avenue du Mont-Royal. Arrivé à Montréal à 18 ans afin d’étudier (sans trop y croire) la scénarisation, tout en nourrissant le rêve de devenir le prochain Gad Elmaleh, l’expatrié embrasse rapidement les conseils de son grand frisé de mentor et s’inscrit à l’École nationale de l’humour. Il trouve dès lors dans l’écriture comique l’objectif lui permettant de s’arracher à sa paresse légendaire. Les webséries Pause Kahwa et Migraine le propulsent après sa graduation, en 2015, parmi les figures les plus réjouissantes du nouveau rire québécois.
Discipline. Le mot reviendra souvent dans ses réponses, au point où Roman Frayssinet sonne parfois comme s’il était à la barre d’une conférence TED sur l’importance de la rigueur et du labeur. Écoutez-le ponctuer ses phrases, immanquablement emportées, de maximes, comme : « Fais un travail que tu serais prêt à faire gratuitement, jusqu’à ce que ça vaille de l’argent. »
De retour pour de bon à Paris depuis six mois, Frayssinet amorce en octobre prochain une résidence de trois mois au Flow, une salle du 7e arrondissement, avec comme ambition avouée de mettre, à terme, la francophonie au complet dans la poche arrière de son pantalon de survêtement. Voilà en fait la prise deux d’un spectacle, Alors, qu’il devait dévoiler à presque pareille date l’an dernier, avec l’aide de Juste pour rire, avant que ne soit révélé ce que l’on sait au sujet de Gilbert Rozon, et que Frayssinet décide de s’en remettre à la science (!) de ses amis de Fishnet, qui ont repris la balle au bond.
Une décision qui semble sourire à celui qui joue le rôle de fou du roi à l’émission Clique, sur les ondes de Canal +, et qui participait en juillet dernier au prestigieux Marrakech du rire. « Pour être honnête, je n’ai jamais été aussi puissant à Montréal que depuis que j’ai du succès ailleurs », observe celui qui présentera Alors devant un Olympia (de Montréal) rempli à ras bord samedi, en plus de participer au cabaret Extrémiss, animé par Hassouna mardi au même endroit. « Les Québécois apprécient le talent de leurs artistes quand ils ont une résonnance ailleurs. Le Québec a l’impression d’être petit, et pourtant, c’est évident que ce n’est pas vrai quand tu vois le talent qu’il y a ici. »
On aura compris que Roman Frayssinet se considère toujours comme en partie Québécois, et que c’est entre autres cette identité composite qui l’aura lié à ses amis chers, presque tous issus de l’immigration ou fils de parents issus de l’immigration. « Quand je suis débarqué ici, j’ai dû m’intégrer culturellement, m’adapter, se rappelle-t-il. J’ai dû questionner la culture de laquelle je venais, et questionner qui je voulais être. Le déracinement, c’est quelque chose qui nous a tous fait grandir. »
Une expérience de la différence expliquant sans doute qu’il parvienne (miraculeusement) à injecter une vie nouvelle à un sujet aussi éculé que l’absence de civisme de ses compatriotes français, dans un de ses numéros les plus vus en ligne, prétexte à renvoyer dos à dos la proverbiale politesse des Montréalais et la (tout aussi proverbiale) rudesse des Parisiens.
«Je pense que ce numéro-là fonctionne parce qu’après cinq ans au Québec, je me sentais évidemment toujours Français, mais je sentais aussi que j’étais devenu Montréalais, que je m’étais assimilé. J’avais surtout la volonté de faire rire les deux. Souvent, quand on met les gens en comparaison, c’est dans le but de seulement faire rire un côté, et c’est pour ça que c’est raté. Moi, je voulais rassembler. »
Extrémiss
Le 11 septembre À l’Olympia
Roman Frayssinet — Alors
Le 15 septembre À l’Olympia