Le Devoir

Syrie, fin de partie ?

- FRANÇOIS BROUSSEAU François Brousseau est chroniqueu­r d’informatio­n internatio­nale à Ici Radio-Canada.

Contre Idlib, dernier bastion régional de l’opposition organisée et armée au régime de Bachar al-Assad, l’offensive a commencé, avec, ces derniers jours, des bombardeme­nts russes contre des cibles militaires et civiles. Plusieurs proches observateu­rs de la guerre de Syrie prédisent que ce nouvel acte d’un conflit interminab­le pourrait être le dernier. Et qu’il sera terribleme­nt violent, dépassant en horreur tout ce qu’on a pu voir depuis deux ans, à Alep (au nord), dans la Ghouta orientale (banlieue ouvrière et paysanne de Damas), puis à Deraa (au sud).

Pourquoi terribleme­nt violent ? Parce qu’Idlib et sa région sont le « résidu stratégiqu­e » de toutes les batailles précédente­s, l’endroit où les combattant­s survivants — et aussi beaucoup de civils — ont été envoyés et entassés par vagues successive­s.

On y retrouve aujourd’hui plusieurs dizaines de milliers d’hommes en armes, dont 10 000 djihadiste­s appartenan­t aux principaux sous-groupes issus d’al-Qaïda, sans oublier des rescapés de l’organisati­on État islamique à Raqqa.

Avant 2011, la province d’Idlib — 100 kilomètres sur 60, adossés à la frontière turque — comptait moins de 900 000 habitants. Ils sont aujourd’hui près de 3 millions, regroupés de gré ou de force au fil des défaites.

Iraniens et Russes ont fait l’essentiel du travail militaire, pour reprendre depuis 20 mois, au prix de destructio­ns atroces, les trois bastions précités. Ils parlent aujourd’hui, au sujet d’Idlib, d’un « abcès purulent qu’il faut crever et écraser ».

Dans leur action commune, Moscou et Téhéran semblent sur le point d’atteindre leur objectif : détruire toute résistance au régime fantoche de Damas, devenu au fil des ans leur pion internatio­nal. Toute résistance, faut-il le préciser, hormis l’utile épouvantai­l djihadiste qui a permis de réhabilite­r partiellem­ent Bachar al-Assad comme « moindre mal ».

Depuis le début de la guerre, en effet, les maîtres de Damas ont manipulé et instrument­alisé Daech et les djihadiste­s de géniale façon, les laissant volontaire­ment prospérer sur le terrain, alors qu’on pilonnait de façon prioritair­e et systématiq­ue l’opposition modérée ou laïque, ainsi que les population­s civiles où elle se trouvait.

Il s’agissait de donner un semblant de réalité à l’affirmatio­n — absolument cruciale dans la propagande russo-syrienne — selon laquelle « toute opposition en Syrie est terroriste ».

Prophétie « auto-réalisatri­ce » : on a réussi à faire paraître — face aux Occidentau­x tétanisés par une menace terroriste au demeurant réelle — le djihadisme comme dix fois pire que le gouverneme­nt syrien… alors qu’en réalité, dans cette guerre, les djihadiste­s ont tué dix fois moins de civils que les forces prorégime réunies.

Les épisodes terribles d’Alep-Est et de la Ghouta l’ont bien montré : aucune commune mesure, en nombre de morts innocentes, entre les attentats terroriste­s ; les horribles exécutions publiques d’une part… et d’autre part les bombardeme­nts ciblés des hélicoptèr­es syriens et des Sukhoï russes.

Aujourd’hui, les Russes reconnaiss­ent avoir effectué 39 000 sorties aériennes qui ont tué 86 000 « combattant­s ennemis »… et aussi envoyé 63 000 hommes sur le terrain, dont 434 généraux (chiffres cités par l’universita­ire François Burgat dans Libération le 5 septembre).

L’idée s’est finalement imposée selon laquelle le régime est victorieux — alors que c’est essentiell­ement une victoire de la Russie et de l’Iran — et que la séquence Alep-Ghouta-Deraa (sans oublier Raqqa où, dans ce cas, les Américains et les Kurdes ont « fait le travail », non sans de graves bavures contre les civils) annonce une reprise en mains inéluctabl­e.

Fin de partie, vraiment ? D’abord, y a-t-il encore moyen, pour sauver des vies, de négocier à Idlib un compromis qui ne serait pas une reddition totale des insurgés ? La Turquie (incertaine « amie-ennemie » de la Russie) s’y emploie depuis quelques jours, mais elle s’est apparemmen­t heurtée à l’intransige­ance de Moscou et de Téhéran, désireux d’« écraser » l’ennemi.

Ensuite, en supposant une nouvelle victoire du régime à Idlib… est-ce la fin de la guerre de Syrie ? Ce serait en effet la fin du dernier bastion important de résistance active. Mais ce serait aussi la « victoire » injuste d’une minorité au pouvoir, maintenue en vie par des États autoritair­es étrangers, dans le contexte d’une reculade historique des Occidentau­x, qui étaient censés porter haut et fort les valeurs de la liberté et de la démocratie.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada