Liberté d’expression
Le plaidoyer d’Annick Lefebvre laisse une impression persistante
« Les barbelés intraépigastres, comme les nomment les chercheurs, auraient coupé, abrégé et coûté l’usage de la parole à plus de quatre cent soixante personnes, sur le territoire nord-américain, dans les dernières années. »
Voilà ce que commence par nous expliquer le personnage de la plus récente pièce d’Annick Lefebvre, Les barbelés, un solo créé l’an dernier à La Colline, à Paris, dans une mise en scène d’Alexia Bürger, et enfin présenté au Quat’Sous.
Dans le flot de mots prononcés par l’Individu aux barbelés, un personnage auquel l’auteure a volontairement donné un nom épicène, on reconnaît le souffle vigoureux, la douce violence, la juste colère qui a valu à J’accuse, en 2015, une pluie d’éloges hautement mérités. Quand résonne dans le paysage théâtral québécois une voix aussi franche, aussi tranchante, aussi déterminée à creuser la détresse de son époque, il faudrait être tout à fait sourd pour ne pas l’entendre. Or, c’est précisément de liberté d’expression qu’il est question dans Les barbelés, du droit à la parole et du poids des mots.
Des barbelés dans la gorge
« Je les sens. Je les vois. Des barbelés jusque dans la gorge. » Sachant qu’il ne lui reste que très peu de temps pour parler, le personnage livre dans l’urgence des propos denses et diversifiés, captivants et essentiels. Quelle place notre société accorde-t-elle aux voix discordantes, à celles des personnes dominées, colonisées et racisées, à ces discours qui pourraient, quel sacrilège, mettre des bâtons dans les roues du néolibéralisme ?
Quand résonne dans le paysage théâtral québécois une voix aussi franche, aussi tranchante, aussi déterminée à creuser la détresse de son époque, il faudrait être tout à fait sourd pour ne pas l’entendre.
Voilà la question qui semble sous-tendre la partition, chronique d’une implosion annoncée, legs d’une mère à son enfant, d’une citoyenne à sa société, une parole qu’Alexia Bürger a choisi de camper, avec toute la délicatesse qu’on lui connaît, dans une cuisine qui aurait été arrachée au reste de l’appartement, un lieu hautement symbolique où le désordre sera irrémédiablement semé.
Fidèle à ses préoccupations, en ce qui concerne le fond aussi bien que la forme, mais d’une manière plus achevée encore, l’auteure rattache ici comme jamais les enjeux de l’intime à ceux du collectif. Ainsi, dans le monologue défendu avec une grande conviction par Marie-Ève Milot, une rigueur, notamment physique, qui force l’admiration, il est question des sujets les plus divers, de la parentalité au partage de l’espace urbain, de la violence conjugale à l’environnement, de la virtualité des amitiés à l’accueil des réfugiés syriens.
Vous aurez compris que les enjeux qui fâchent, ceux qui touchent à l’identité, à la politique, à la sexualité et à la religion, il ne faudrait surtout pas compter sur Annick Lefebvre pour les balayer sous le tapis.