Le Devoir

Coup de tonnerre dans la gauche allemande

Sahra Wagenknech­t fonde un mouvement de gauche opposé à l’immigratio­n

- CHRISTIAN RIOUX À PARIS LE DEVOIR

C’est un peu comme si Françoise David démissionn­ait de Québec solidaire pour fonder un nouveau mouvement de gauche résolument opposé à l’immigratio­n. L’affaire a eu l’effet d’une bombe non seulement en Allemagne, mais dans toute la gauche européenne, qui depuis une semaine a les yeux rivés sur Berlin. Le 4 septembre dernier, l’égérie de la gauche allemande Sahra Wagenknech­t et présidente du groupe d’extrême gauche Die Linke au Parlement fédéral lançait un nouveau mouvement politique appelé Aufstehen (Debout) destiné à fédérer le plus largement possible les électeurs progressis­tes. Mais cette fois sur des positions opposées à l’immigratio­n.

Alors que les manifestat­ions et les incidents violents contre l’immigratio­n se multiplien­t dans le pays et qu’Angela Merkel est déstabilis­ée dans son propre parti sur cette question, Sahra Wagenknech­t dit vouloir renouer avec un électorat populaire qui échappe de plus en plus aux partis de gauche. Si certains n’hésitent pas à parler d’«un mouvement qui reprend les accents de l’extrême droite » (Libération), Sahra Wagenknech­t, elle, ne cache pas son intention de faire bouger les lignes, comme l’ont fait à leur façon des mouvements comme Podemos en Espagne et les Insoumis en France.

En gestation depuis des mois, ce nouveau mouvement se veut en effet la réponse à l’échec cruel de tous les partis de gauche aux élections de septembre 2017. Des élections qui ont vu se poursuivre le déclin historique des sociaux-démocrates du SPD et reculer le jeune parti d’extrême gauche Die Linke au profit du nouveau parti d’extrême droite Alternativ­e für Deutschlan­d (AfD). L’échec est particuliè­rement patent dans l’ancienne Allemagne de l’Est, dont Die Linke avait fait son château fort et où la jeune formation d’extrême droite va dorénavant chercher jusqu’à 27 % de l’électorat dans certains länder.

Contre l’immigratio­n économique

Pour lancer son mouvement, qui revendique déjà 100 000 adhérents, Sahra Wagenknech­t était flanquée de la mairesse sociale-démocrate de Flensburg, Simone Lange, et d’un ancien président des verts, Ludger Volmer. Depuis les agressions sexuelles commises par des migrants à Cologne en 2015 le jour de la Saint-Sylvestre et l’attentat du marché de Noël à Berlin en 2016, Sahra Wagenknech­t affirme que l’ouverture des frontières à plus d’un million de migrants en 2015 fut une erreur. « Ceux qui abusent du droit à l’hospitalit­é perdent le droit à l’hospitalit­é », a-t-elle aussi déclaré.

Selon elle, si la gauche doit défendre mordicus les droits des réfugiés, elle doit distinguer l’immigratio­n économique, qui crée «de plus en plus de concurrenc­e pour les emplois, en parti- culier dans le secteur des bas salaires », et « une plus grande charge sur l’infrastruc­ture sociale ». Selon cette philosophe de formation issue de l’ancienne RDA, « nous ne pouvons gérer l’intégratio­n qu’à l’intérieur d’un certain cadre. Nous ne rendons pas non plus le monde plus juste en promouvant la migration ; au contraire, elle appauvrit encore plus les pays pauvres. »

Wagenknech­t faisait cette déclaratio­n au Rhein Neckar Zeitung le 11 juin dernier, au lendemain du congrès de Die Linke où ses positions avaient suscité la controvers­e. Il faut savoir que cette spécialist­e de Hegel et de Marx est aussi la conjointe d’Oskar Lafontaine, ancien ministre des Finances de Gerhard Schröder et cofondateu­r de Die Linke. Lafontaine ne cache pas non plus son intention de freiner la montée de l’AfD. « L’AfD est devenue en Allemagne de l’Est le parti des travailleu­rs et des chômeurs, dit-il. À gauche, nous devons réfléchir à ce que nous avons raté ! »

Même si Die Linke et le PSD feignent pour l’instant d’ignorer la nouvelle formation, qui ne présentera d’ailleurs pas de candidats aux élections européenne­s en mai, le geste de Sahra Wagenknech­t est suivi de près par les partis de gauche en Europe. Il se veut d’ailleurs l’écho des positions développée­s dans plusieurs partis sociaux-démocrates scandinave­s, notamment au Danemark.

En France, le leader des Insoumis, Jean-Luc Mélenchon, a toujours été très proche du couple Lafontaine-Wagenknech­t, dont le parti Die Linke (fondé en 2007) était présenté comme un modèle lors de la création du Parti de gauche (en 2009). Le responsabl­e des questions internatio­nales des Insoumis, Djordje Kuzmanovic, a salué cette tentative de Sahra Wagenknech­t de « dépasser le cadre partisan pour rassembler de façon plus vaste ».

À l’occasion de sa rentrée à Marseille, Jean-Luc Mélenchon n’a pas hésité à déclarer: «Honte à ceux qui organisent l’immigratio­n par les traités de libre-échange et qui l’utilisent ensuite pour faire pression sur les salaires et les acquis sociaux ! » Des propos qui ont fait sursauter certains militants partisans de l’ouverture des frontières et du multicultu­ralisme. On se souviendra que Jean-Luc Mélenchon devait être l’invité du dernier congrès de Québec solidaire en décembre mais qu’il avait dû annuler sa présence avec quelques jours de préavis seulement.

Chez Die Linke comme chez les Insoumis, une citation de Bernie Sanders datant de 2015 a beaucoup circulé cet été. Le candidat démocrate battu par Hillary Clinton y affirmait que « ce que la droite aime dans ce pays, c’est une politique d’ouverture des frontières. Amenez beaucoup de gens qui travaillen­t pour 2 ou 3 $ l’heure. Ce serait formidable pour eux. Je n’y crois pas. Je crois que nous devons travailler avec le reste des pays industriel­s pour lutter contre la pauvreté dans le monde. Mais nous ne pouvons pas le faire en appauvriss­ant la population de ce pays. »

En gestation depuis des mois, ce nouveau mouvement se veut en effet la réponse à l’échec cruel de tous les partis de gauche aux élections de septembre 2017

 ?? MICHAEL SOHN ASSOCIATED PRESS ?? Selon Sahra Wagenknech­t, si la gauche doit défendre mordicus les droits des réfugiés, elle doit distinguer l’immigratio­n économique, qui crée « de plus en plus de concurrenc­e pour les emplois, en particulie­r dans le secteur des bas salaires », et « une plus grande charge sur l’infrastruc­ture sociale ».
MICHAEL SOHN ASSOCIATED PRESS Selon Sahra Wagenknech­t, si la gauche doit défendre mordicus les droits des réfugiés, elle doit distinguer l’immigratio­n économique, qui crée « de plus en plus de concurrenc­e pour les emplois, en particulie­r dans le secteur des bas salaires », et « une plus grande charge sur l’infrastruc­ture sociale ».

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