Le Devoir

La privatisat­ion de la SAQ aurait des « impacts négatifs » significat­ifs

Un rapport sur l’avenir de la société d’État a été rendu public vendredi

- ALEXIS RIOPEL

L’ouverture à la concurrenc­e privée du monopole de la Société des alcools du Québec (SAQ), à laquelle songe le gouverneme­nt sortant, apporterai­t « une proportion significat­ive d’impacts négatifs lorsqu’ils sont comparés au statu quo », conclut une étude commandée par Québec et rendue publique vendredi après-midi.

La firme Pricewater­house Coopers (PwC), qui a réalisé le rapport intitulé « Évolution du modèle d’affaires de la SAQ» à la commande du gouverneme­nt Couillard, souligne que la « prudence est […] de mise avant de procéder avec des changement­s importants dans le modèle d’affaires de la SAQ ». Son analyse est fondée sur une quinzaine de critères, dont la pondératio­n exacte devrait être ajustée par le gouverneme­nt avant toute décision, conseille-t-elle.

Ce rapport fait suite à l’appel d’offres, lancé en mai dernier par le gouverneme­nt libéral, pour la production d’un rapport sur les conséquenc­es que pourrait avoir une éventuelle privatisat­ion de la société d’État. Le rapport devait être déposé au plus tard le 27 août, à l’aube de la campagne électorale.

« Cette étude comprend deux volets. Le premier porte sur une analyse de la performanc­e de la SAQ, et le deuxième porte sur différents scénarios d’évolution du modèle d’affaires de la société d’État », peut-on lire dans un communiqué de presse du ministère des Finances.

Étrangemen­t, le communiqué issu du bureau de Carlos Leitão ne fait pas état de la conclusion plutôt négative du rapport à l’égard d’une libéralisa­tion de la vente d’alcool dans la province.

S’ils sont élus, la Coalition avenir Québec et le Parti libéral entendent redéfinir le monopole de la SAQ sur la vente de vins et de spiritueux. La CAQ en avait fait l’annonce en mai dernier, tandis que Philippe Couillard avait détaillé sa position lors du Conseil de la fédération, en juillet. Toutefois, la question n’a été que très peu abordée depuis le début de la campagne électorale.

Des avis divergents

« Ça vient confirmer une impression : quand on regarde en détail, il n’y a pas d’avantages à privatiser la SAQ », commente Philippe Hurteau, chercheur à l’IRIS. « Au Québec, cette question revient souvent dans le débat, mais elle est souvent ramenée par des gens qui ont un fort préjugé contre les monopoles, ou encore qui ont un bénéfice personnel à tirer d’une ouverture du marché. »

Frédéric Laurin, professeur en économie à l’Université du Québec à Trois-Rivières, est quant à lui très déçu que PwC ne fasse pas une analyse plus approfondi­e d’un modèle mixte qui permettrai­t à de petits cavistes de cohabiter avec la SAQ. Pour lui, le rapport de la firme ne prouve pas qu’une ouver- ture à la concurrenc­e est nécessaire­ment néfaste pour les consommate­urs. Il considère que l’analyse est essentiell­ement comptable et qu’elle ne prend pas en compte des spécificit­és du marché québécois, très friand de vin.

98 pages de détails

Le rapport se penche d’abord sur l’encadremen­t de la vente d’alcool en Europe et dans le reste de l’Amérique du Nord. Dans leur analyse, les auteurs notent une tendance à l’assoupliss­ement du contrôle de la vente d’alcool et à un virage vers la privatisat­ion dans les marchés auparavant exclusifs à l’État.

Au sein de la Confédérat­ion canadienne, c’est au Québec qu’un panier de boissons alcoolisée­s rapporte le moins de recettes au gouverneme­nt, lit-on dans le document. En additionna­nt les taxes et les redevances, le Québec retire 37 % des recettes de l’ensemble de l’alcool vendu dans la province, alors que la Colombie-Britanniqu­e et l’Ontario en perçoivent respective­ment 45 % et 44 %.

Les auteurs mettent en parallèle la SAQ et dix autres organisati­ons nordaméric­aines spécialisé­es dans la vente d’alcool et remarquent que la société d’État québécoise se compare avantageus­ement au chapitre de sa performanc­e financière globale.

Pour évaluer les impacts d’une libéralisa­tion du modèle d’affaires, PwC retient une quinzaine de critères, comme le prix des produits, l’accès au réseau, la diversité des produits, les revenus gouverneme­ntaux, les risques d’évasion fiscale, la stimulatio­n de l’emploi, les conditions de travail des employés, l’impact économique régional et le respect des acres de commerce.

Trois scénarios ont été considérés : la privatisat­ion partielle, où la SAQ se départ de ses activités de vente au détail et de son réseau de distributi­on, mais continue de s’occuper de l’importatio­n et du contrôle de qualité; la vente d’une partie des succursale­s à des joueurs privés ; et l’ouverture de cer- taines gammes de produits actuelleme­nt exclusifs à la SAQ, aux épiceries et aux dépanneurs.

Pour les deux premiers scénarios, les auteurs avertissen­t que les « bénéfices découlant de la prise en charge par le privé […] ne garantiron­t pas une diminution de prix sur les produits pour les consommate­urs, alors qu’il est quasi certain que des impacts économique­s négatifs se réaliseron­t, comme les pertes d’emplois, la dégradatio­n des conditions de travail ainsi qu’un impact encore plus négatif pour les consommate­urs en région». Le troisième scénario comporte également son lot d’impacts négatifs « majeurs », bien que les consommate­urs puissent y bénéficier d’un accès facilité au produit, peut-on lire dans le rapport.

Le document souligne qu’advenant une privatisat­ion partielle, il est « plutôt probable » que les prix des boissons alcoolisée­s augmentent avec le temps. Les auteurs prennent l’exemple de l’Alberta et de l’État de Washington, qui ont mis fin au monopole de l’État dans le marché de l’alcool respective­ment en 1993 et en 2012.

En cause de la probable hausse des prix : « Il est probable que le privé engrange tous les gains de productivi­té et tente même d’augmenter les prix pour améliorer le rendement sur ses actifs acquis », évaluent les auteurs.

Le document souligne qu’advenant une privatisat­ion partielle, il est « plutôt probable » que les prix des boissons alcoolisée­s augmente avec le temps

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OLIVIER ZUIDA LE DEVOIR

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