Le Devoir

L’« or vert » dope-t-il la Bourse ?

- GÉRARD BÉRUBÉ

2018 semble être au cannabis ce que 2017 a été au bitcoin. La marijuana euphorise les spéculateu­rs boursiers.

L’élément dominant sur Wall Street a été cette séance de mercredi au cours de laquelle la canadienne Tilray a atteint une capitalisa­tion boursière de 20 milliards de dollars. Cette journée du 19 septembre a été plutôt spectacula­ire pour ce producteur déficitair­e, au chiffre d’affaires annuel de 20 millions $US. Comme l’a rapporté l’Agence France-Presse, l’action de Tilray a gagné jusqu’à 93% en cours de séance, obligeant l’opérateur boursier à suspendre temporaire­ment le titre à cinq reprises. Après avoir brusquemen­t plongé, le titre a finalement terminé la journée en hausse de 38,1 % à 214,06 $US, soit près de treize fois son prix d’introducti­on au Nasdaq de 17 $US, le 19 juillet dernier. Il a terminé la semaine à 123 $US, en recul de 30 % au cours de la journée de vendredi, de 43 % depuis son sommet de mercredi.

Si l’engouement spéculatif s’est concentré sur Tilray mercredi, les autres producteur­s inscrits en Bourse ne sont pas en reste. Aurora affiche un gain d’environ 300 % sur un an, Canopy, de quelque 240 % et Aphria, de plus de 180 %. Pour les appétits moins spéculatif­s ou allant vers l’approche portefeuil­le, un des fonds indiciels disponible­s sur le marché, le Fonds négocié en Bourse Horizons Medical Marijuana Life Sciences, est en hausse de 150 % sur un an.

Certes, la légalisati­on du cannabis à usage récréatif a ouvert l’horizon de ces producteur­s, mais le véritable élan est venu d’abord du jeu de consolidat­ion entre eux. Puis de leurs rapprochem­ents avec les brasseurs. Constellat­ion Band a injecté 4 milliards de dollars dans Canopy et Molson Coors prévoit de prendre le contrôle de Hexo (hydropothi­caire) avec l’objectif de développer une boisson non alcoolisée à base de cannabis. Pernod Ricard s’intéresse aussi à ce marché.

Le marché des produits dérivés

À ces rapprochem­ents s’ajoutent les partenaria­ts avec le secteur pharmaceut­ique, de l’alimentati­on puis, cette semaine, avec l’industrie des boissons gazeuses. Selon l’agence Bloomberg, Coca-Cola discuterai­t avec Aurora en vue de proposer des boissons au cannabis à des fins thérapeuti­ques. L’entreprise a par la suite confirmé son intérêt pour l’utilisatio­n d’un principe non psychoacti­f du cannabis comme ingrédient dans certaines boissons. Statistiqu­e Canada a estimé que près de 5 millions de Canadiens âgés de 15 à 64 ans ont dépensé approximat­ivement 5,7 milliards en 2017 pour se procurer du cannabis à des fins médicales (10 % du marché) ou non. Mais avec cette multiplica­tion des potentiali­tés dans l’univers des produits dérivés, Tilray évoquait cette semaine une industrie de 150 milliards. La Bourse, en tant que marché d’anticipati­on, s’intéressan­t à l’avenir et non au passé, « l’or est devenu vert à Wall Street », titrait-on cette semaine.

Cette frénésie n’est pas sans nourrir l’envolée continue de l’indice Nasdaq, qui compte déjà sur l’engouement pour les valeurs technologi­ques. Après avoir bondi de 28 % l’an dernier, cet indice affiche une poussée de 16 % depuis le début de 2018, surpassant de loin la performanc­e d’ensemble. En cette année boursière dominée par les États-Unis, le S & P 500 affiche une croissance de 9,6 % depuis janvier et le Dow Jones, de 8,2 %. Ailleurs, on passe de 5 % au Japon à 3 % à la Bourse de Paris et à du surplace à Toronto, alors que les indices de référence d’Allemagne et de Londres sont en recul. Ce qui a fait écrire à Robert Kavcic, économiste senior chez BMO Marchés des capitaux, que ce long cycle haussier en Bourse n’implique désormais qu’une seule poche, les valeurs technologi­ques américaine­s. « En fait deux, si vous incluez les titres du cannabis. »

Une bulle, tout cela ? Le mot correction demeure sur les lèvres. Dans sa révision des perspectiv­es économique­s mondiales publiées cette semaine, l’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s a évoqué deux grands risques financiers s’accumulant de nouveau dix ans après la crise. L’OCDE pointe en direction de la dette totale et du cours des actions. Dans le graphique retenu, on observe que le Nasdaq a été multiplié par 7 depuis la reprise en 2009, contre une multiplica­tion par 4 pour l’indice plus élargi et plus représenta­tif S & P 500, par 3,5 pour le Nikkei japonais, par 2 pour l’indice de référence européen.

Si l’engouement spéculatif s’est concentré sur le producteur de cannabis Tilray mercredi, les autres producteur­s inscrits en Bourse ne sont pas en reste

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