Retour en force des promesses culturelles dans les discours
Peu abordé lors des deux dernières élections, le thème de la culture resurgit comme une préoccupation commune aux quatre principaux partis
La culture a été fort un sujet fort peu abordé dans les promesses et discours des deux dernières élections, comme si on ne croyait plus aux gains politiques qu’elle peut générer. Elle resurgit cette fois, et sous toutes les bannières, dans des visions collées à la nouvelle politique culturelle des libéraux. Un commun accord en culture ? Quatrième de quatre textes qui décortiquent les engagements des chefs.
Cette campagne électorale couvre davantage le thème et les enjeux de la culture que ce ne fut le cas au cours des deux dernières élections, et même de la dernière décennie. Est-ce parce qu’elle se joue dans la foulée du dévoilement en juin dernier de la nouvelle politique Partout, la culture, du gouvernement Couillard, fortement attendue après avoir été reportée à plusieurs reprises ? Certainement.
Cette politique avait d’ailleurs été taxée illico d’électoraliste par le Parti québécois (PQ) et Québec solidaire (QS). La Coalition avenir Québec (CAQ) n’avait pas commenté. Il est vrai que le Parti libéral du Québec (PLQ) n’a, depuis, rien ajouté en promesses, surfant sur le travail accompli. « On a la politique qui a été lancée juste avant la campagne, a précisé le PLQ au Devoir, notre engagement est de la mettre en oeuvre et de la réaliser. C’est une des plus ambitieuses et applaudies par le milieu. »
Si l’actualité estivale, ponctuée des débats sur les spectacles SLĀV et Kanata de Robert Lepage, et sur les difficultés d’organiser des sorties scolaires après la directive sur la gratuité du ministre Sébastien Proulx, a dû contribuer à conserver le sujet à l’avantscène, c’est la nouvelle politique qui a la vertu d’avoir ouvert le bal. « Les autres partis ont dû se positionner par rapport à ce document important », indique François Colbert, titulaire de la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux à HEC Montréal. Tous se sont engagés à la maintenir et à respecter le cadre financier d’un demimilliard qui l’accompagne. « Comme les libéraux ont travaillé avec le milieu, les autres sont obligés de suivre. Mais après une politique, c’est la façon dont on la module qui est importante», poursuit le spécialiste. « Ce qui me préoccupe, c’est la définition qu’on donne au mot culture, poursuit le prof titulaire. Il y a le sens anthropologique — notre histoire, notre langue, la façon dont on vit. L’art est une expression de cette culture, il ne la fait pas. Ensuite, on a des artistes qui posent des questions, font réfléchir. Mais on ne peut forcer un chameau à boire: on ne peut forcer les gens à aller à l’art. J’entends toujours plus fortement les artistes des arts savants — danse, théâtre, musique classique —, alors que pour s’intéresser à ça, il faut qu’on nous ait ouvert les codes quand on est jeune. » C’est une question d’éducation, poursuit François Colbert. « Ainsi, dans les promesses, celles qui veulent protéger les sorties scolaires et regarnir les bibliothèques me semblent fondamentales. Ce que la famille ne fera pas, il faut que l’école le fasse. » Et qu’on lui donne les moyens de le faire. M. Colbert voit donc d’un bon oeil que tous les partis prônent le lien entre culture et éducation, souvent en encourageant les sorties scolaires.
Le PLQ a annoncé ces dernières semaines 9,5 millions de dollars spécifiquement pour les sorties culturelles, et 27 millions pour les activités éducatives, physiques, culturelles, scientifiques. La CAQ assure 25 millions de plus pour que les élèves puissent bénéficier de deux sorties scolaires par année. QS promet 16 millions pour financer quatre activités culturelles aux élèves par année — un montant suffisant pour les visites aux musées, insuffisant pour les spectacles vivants.
Au PQ, c’est sous la forme de Passeport culturel qu’on déploie l’idée. Applicable auprès des organismes, il permettrait aux élèves de 3e, 4e et 5e secondaires de choisir eux-mêmes, à leurs heures de loisir, des sorties à leur goût. Un concept importé de France et d’Italie qui a donné lieu, dans ce dernier cas, à de nombreux détournements des fonds vers des fins moins culturelles. QS s’engage pour sa part à mieux intégrer les disciplines culturelles dans le système d’éducation.
Les visions de la culture du PQ et de QS sont les plus raffinées ; celle de QS est plus ambitieuse par son désir d’établir un plan transversal entre les ministères et les institutions : une idée qui réclamerait une réorganisation des structures. Le parti est aussi le seul à considérer un investissement supplémentaire dans la création et la recherche. Il fonderait également un Fonds régional de 30 millions de dollars. « J’aime ce plan transversal, commente François Colbert, là-dessus, QS a mauditement raison, ne seraitce que parce que le ministère de la Culture est tout petit, alors que celui de l’Éducation est comme un État dans l’État, et a plus de pouvoir. »
Pare-feu absent
Pour celui qui se penche sur le marketing des arts depuis 45 ans, ce qui manque dans les promesses, c’est le renforcement des arts populaires dits « de divertissement », et la protection contre l’américanisation. « Comment faire pour protéger notre culture en général, pour avoir notre place dans le film et dans le cinéma, pour se frotter aux oeuvres et aux arts de partout dans le monde en évitant d’être submergés par le junk américain ? Ça, je ne vois pas ça nulle part dans le discours actuel. Et ça ne passe pas seulement par Netflix. »
Le livre est aussi un leitmotiv partagé par tous les partis. Le PQ et QS réglementeraient le prix du livre neuf. La CAQ pourrait, si l’on en croit la candidate dans Maurice-Richard, Manon Gauthier, envisager une réglementation des bibliothèques. La demande
Dans les promesses, celles qui veulent protéger les sorties scolaires et regarnir les bibliothèques me semblent fondamentales. Ce que la famille ne fera pas, il faut que l’école le fasse. FRANÇOIS COLBERT
est portée depuis quelques années par l’Association des bibliothèques publiques du Québec, car la Loi sur les bibliothèques publiques a été abrogée en 1992 faisant du Québec la seule province du Canada à ne pas encadrer ses institutions, ouvrant le champ à des services inégaux d’une biblio à l’autre.
QS annonce qu’il investirait massivement dans les bibliothèques, sans chiffrer la proposition. Par ailleurs, le PQ procurerait un livre québécois par élève chaque année du primaire; la CAQ investirait 5 millions par an dans les bibliothèques scolaires, l’équivalent de 5 $ par enfant par année.
« La campagne électorale ne traite peut-être pas tant de culture au sens artistique du terme, que d’un changement de culture au sens sociétal du terme », analyse un joueur du milieu artistique. « Pour le dire autrement : la CAQ, le PQ et QS cherchent chacun à leur manière à affirmer une posture “progressiste” dans un contexte de changement social. De changement de valeurs. De changement de générations. » Et pour ce faire, la culture redevient essentielle.