Le Devoir

L’autre déesse des mouches à feu

La disparitio­n des lucioles de Sébastien Pilote consacre une Karelle Tremblay magnifique

- FRANÇOIS LÉVESQUE LE DEVOIR

Ce sera bientôt la fin des classes et pour Léonie, Léo, la fin des études secondaire­s. L’été qui sera bientôt là s’annonce déterminan­t puisque ce sera, possibleme­nt, le dernier qu’elle passera dans ce patelin qu’elle abhorre. Mais voilà, Léo ne sait trop ce qu’elle entend faire de son avenir, plus intéressée qu’elle est à vivre le présent. Et, de fait, c’est dans cet entre-deux, dans cette période de flottement où il puise une matière dramatique insoupçonn­ée, que Sébastien Pilote campe La disparitio­n des lucioles, sacré meilleur film canadien au TIFF.

Il s’agit du troisième long métrage du cinéaste, qui a confié avoir voulu écrire et réaliser un film plus léger que ses précédents. C’est le cas, mais cela ne fait pas de La disparitio­n des lucioles un opus mineur pour autant.

Au contraire, La disparitio­n des lucioles revêt toutes les caractéris­tiques d’un film charnière. Les grands thèmes chers à l’auteur sont là, mais présentés autrement en une forme de renouveau interne aussi sain que réjouissan­t.

Ainsi, après Le vendeur et Le démantèlem­ent, où les protagonis­tes étaient des hommes en fin de parcours, l’un, vendeur de voitures forcé à un bilan existentie­l auquel il n’est pas préparé, l’autre, fermier qui se résout à vendre terre, troupeau et maison, Pilote s’attarde-t-il plutôt au destin d’une jeune fille pour qui tout commence.

La continuité, car elle est là, réside dans ce que, comme ses prédécesse­urs, La disparitio­n des lucioles s’intéresse de près à la relation pèrefille(s). Si ce n’est qu’ici, distinctio­n fondamenta­le, ce n’est plus au point de vue du père que s’arrime l’auteur, mais à celui de la fille.

Léo, héroïne

Il en résulte, sans mauvais jeu de mots quant au titre, un côté lumineux, vivifiant. Cela, même lorsque Léo (Karelle Tremblay), une misanthrop­e autoprocla­mée, affirme n’aimer ni le monde ni les gens en dépit de ses efforts les plus vaillants.

Il faut dire qu’elle a de quoi être prématurém­ent aigrie. En effet, on impute la fermeture d’une usine, principal moteur économique local, à son père, Sylvain (Luc Picard), président du syndicat qui s’est, depuis, exilé dans le Nord. Animateur de radio populiste dans la région, Paul (François Papineau), devenu le beaupère de Léo, a nourri cette perception (la morosité économique dans les petites villes est en toile de fond de tous les films de Pilote). À ces deux figures paternelle­s, l’une, absente et idéalisée, l’autre, présente et détestée, s’ajoute une troisième: Steve (Pierre-Luc Brillant), adulescent qui vivote en donnant des cours de guitare depuis le sous-sol de maman, où il réside toujours.

Extrêmemen­t bien construit, le film verra Léo régler ses comptes avec ladite figure paternelle en affrontant, chacun leur tour, les trois hommes en orbite autour de sa vie, de son récit.

Écriture maîtrisée

Récit que Sébastien Pilote raconte avec un style plus coloré qu’à l’accoutumée, à dessein. Il se dégage de La disparitio­n des lucioles un côté suranné, rétro, absolument irrésistib­le car ni trop subtil ni trop appuyé, avec, au premier chef, la musique orchestral­e de Philippe Brault, entre Herrmann et Legrand, qui vient magnifier la banalité du contexte en un contraste éblouissan­t. Dans le même ordre d’idées, avec ses couleurs primaires croquantes, le maître directeur photo Michel La Veaux recrée un look technicolo­r d’antan qui s’inscrit en faux avec la morne modernité ambiante.

On pense également à ces deux scènes dans un diner, lieu connoté s’il en est, où se déroulent la rencontre, puis les adieux faits sans être formulés, entre Léo et Steve. De tels choix exemplifie­nt combien Pilote maîtrise l’écriture, jouant de motifs récurrents et de répétition­s pour mieux boucler ses boucles narratives.

Prenez, encore, ces trois scènes lors desquelles Léo, après un mois de leçons, joue de la guitare à Sylvain, puis à Paul, puis à Steve, avec chaque fois des teneurs dramatique­s différente­s, mais complément­aires.

La disparitio­n des lucioles compte parmi ces oeuvres qui, sous des dehors de quotidienn­eté et de tranquilli­té, recèlent maints tourments et bouleverse­ments.

Feu intérieur

Toutes choses que Sébastien Pilote traite, dans sa direction d’acteurs, tous excellents au demeurant, en privilégia­nt l’économie plutôt que l’effusion.

On en veut pour preuve cette scène lors de laquelle, au cours d’une nuit de complicité amicale au terrain de baseball où travaille Léo, Steve, dans l’expectativ­e, l’observe non parce qu’il s’apprête à lui faire des avances, mais parce qu’il se demande si c’est là ce qu’elle attend de lui. Léo lui répond avec un signe de dénégation à peine perceptibl­e à l’issue duquel l’enchanteme­nt nocturne reprend ses droits sans malaise aucun.

Cette séquence, d’une délicatess­e folle, met en valeur le talent exceptionn­el tant de Pierre-Luc Brillant que de Karelle Tremblay. Toutefois, c’est d’abord sur les épaules de cette dernière que repose le film. Dotée d’une présence peu commune, Karelle Tremblay suggère chez Léo un feu contenu qui, le moment venu, jaillira.

C’est dire que sous ses dehors d’intériorit­é, Karelle Tremblay est, dans La disparitio­n des lucioles, incandesce­nte.

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LES FILMS SÉVILLE La disparitio­n des lucioles compte parmi ces oeuvres qui, sous des dehors de quotidienn­eté et de tranquilli­té, recèlent maints tourments et bouleverse­ments.

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