Celle qui a trop aimé
Pérégrinations émouvantes dans la vie, l’oeuvre et les passions de Pauline Julien
Les partis pris cinématographiques de Pascale Ferland dans Pauline Julien, intime et politique, s’inscrivent dans sa démarche, intimiste elle aussi, manifeste dans des documentaires délicats comme L’immortalité en fin de compte ou Adagio pour un gars de bicycle. C’est encore sur la pointe des pieds qu’elle avance, cette fois dans l’univers de cette artiste à la fougue exceptionnelle, dont même la chevelure ébouriffée en disait long sur la passion qui l’animait.
La cinéaste a trouvé en Pauline Julien bien plus qu’un sujet à biographie édifiante, ou un prétexte pour faire défiler des figures importantes qui ont côtoyé cette chanteuse pas comme les autres, celle qui avait souvent l’âme à la tendresse, mais aussi au combat, pour la cause des femmes, et celle de l’indépendance du Québec. On lui avait vite accolé l’étiquette de « pasionaria », et 20 ans après sa mort par suicide, le 1er octobre 1998, impossible de la retirer tant se bousculent les souvenirs de ses interprétations vibrantes, de son jeu incandescent (elle était d’abord comédienne, et cela a admirablement servi la chanteuse), et du choix jamais banal des auteurs qu’elle interprétait (de Vigneault à Vian, en passant par Anne Sylvestre, une soeur de scène). Ferland se plaçait ainsi devant un monument, mais n’avait pas l’intention d’adopter une posture conventionnelle.
Mis à part la présence d’un ami intime de Julien, Alan Glass, qui n’apporte que quelques balises biographiques, toute la place est accordée à celle qui a mis du temps à se faire un nom ici, à cause de son absence du Québec dans les années 1950. Quelques décennies plus tard, elle l’aura conquise, victime ensuite de la tiédeur des Québécois pour le projet souverainiste auquel elle était associée, même si elle se défendait bien d’être une artiste politique.
Et c’est souvent ce que l’on entend dans cette succession d’entrevues (dont plusieurs en anglais !) accordées tout au long de sa carrière, parfois dans un contexte personnel, parfois dans la froideur des studios. Mais peu importe le cadre, toute notre attention est rivée sur cette femme aussi déterminée que rongée par l’angoisse, indignée par les injustices, qualité essentielle quand on chante (si bien) Bertolt Brecht et Kurt Weill.
À ces morceaux choisis s’en superposent d’autres, éblouissants, une déferlante de photographies souvent d’un sublime noir et blanc qui donne la mesure de la prestance de celle qui était aussi d’une farouche exigence, et pas seulement qu’envers elle-même. On y voit et entend la fougueuse, mais aussi l’amoureuse, d’abord mariée au comédien Jacques Galipeau, avec qui elle aura deux enfants, Pascale et Nicolas, puis liée à la vie à la mort au poète et politicien Gérald Godin.
Cette liaison, dont les débordements et les pieds de nez aux conventions relèvent quasiment du mythe, est évoquée à travers leur correspondance par les voix solides, aux inflexions nuancées, de Dominique Quesnel et Marc Béland.
Tout cela forme une cartographie qui ne s’embarrasse jamais de dates, de repères précis et encore moins d’anecdotes, laissant causer l’artiste en début de carrière jusqu’aux dernières années avant que les mots lui manquent, victime d’aphasie dégénérative. Véritable kaléidoscope cinématographique, hommage à une immense interprète, et à ses chansons comme autant d’emblèmes de son engagement, Pauline Julien, intime et politique cerne moins une vie bien remplie qu’une âme angoissée, débordante d’ambition, mais jamais au prix de vulgaires compromis. En somme, un portrait singulier sur un esprit libre et vagabond.