Michael Moore, ce militant fatigué
On retrouve le cinéaste plus malheureux que pugnace dans Fahrenheit 11/9
Quatorze ans après son brûlot antiGeorge W. Bush, Fahrenheit 9/11, voici que le trublion américain Michael Moore s’en prend à Donald Trump dans un documentaire au titre miroir Fahrenheit 11/9 ; tous deux échos au roman dystopique de Ray Bradbur y Fahrenheit 451, publié en 1953 et porté à l’écran par Truffaut.
De références à autoréférences, une flamme s’est perdue, même si ce film tragicomique est certainement son plus percutant des dernières années.
Démarrant en coup de poing, avec la campagne et l’élection de Trump, sur montage-choc, à la fois manipulateur et jouissif, ce documentaire prêche aux convertis tout en visant chacun qui suit la saga de la MaisonBlanche au quotidien.
De l’année au pouvoir de cet ahurissant président des États-Unis, Moore, adversaire naturel de Trump, expose ses méfaits davantage qu’il les charge à fond de train. On y voit à quel point la corruption, la vulgarité, le harcèlement sexuel et le mensonge ont toujours parsemé la vie de Trump, la présidence lui permettant de persuader ses fidèles que ces maigres détails sont de peu d’importance, tout ressort moral extirpé de leurs esprits.
Un constat d’échec global
Les comparaisons entre Trump et Hitler, sur images d’archives du Troisième Reich et superpositions de têtes et de voix, amusent plus qu’autre chose par leur outrance, mais ces leçons à tirer du fascisme font réfléchir. Sinon, Hillary Clinton, Ivanka Trump et le cercle des conseillers hagards ainsi que des dictateurs étrangers ayant gravité dans cette téléréalité politique sont appelés à la barre des témoins, d’un côté ou de l’autre.
L’indignation de Moore a quelque chose de tonique dans un pays n’ayant pas encore dégommé son roi des fous, mais le règne chaotique de Trump méritait à lui seul une oeuvre entière. Hélas! Le documentariste s’éparpille et perd sa charge en courant plusieurs lièvres à la fois. Les problèmes de l’eau contaminée dans sa ville natale de Flint occupent un pan excessif du film en diluant ses propos, tout comme la prise de parole des adolescents contre les tueries dans leurs écoles.
Par ailleurs, le narcissisme du cinéaste, heureux de se mettre en scène à tout bout de champ, reflète celui de Donald Trump; leurs deux silhouettes à casquettes devenant symboles de combats divergents, quand Moore eût mieux fait de s’effacer devant le modèle dépeint, dont on n’apprend finalement pas grand-chose de neuf.
Plus révélateur se révèle le constat d’échec global de l’appareil politique et social américain, témoignant d’une désillusion lucide du documentariste militant. Moore suit pourtant plusieurs figures de l’ombre qui combattent un système où les malades ne sont pas protégés et où les armes font la loi comme au temps du Far West. Les thèmes de ses films précédents trouvent ici leur point d’orgue, mais dans une veine plus désenchantée, comme s’il ne savait plus comment changer les choses, malgré ses appels constants à la résistance.
Le camp démocrate en prend pour son rhume. Barack Obama et Bill et Hillary Clinton se voient accusés d’avoir bordé le lit de Trump, en cédant aux attraits de la corruption ou en expulsant des immigrés clandestins. Quant aux médias, trop contents d’avoir eu le bonbon Trump à se mettre sous la dent, le réalisateur pourfend leur hypocrisie. Dans Fahrenheit 11/9, c’est un Michael Moore plus malheureux que pugnace qui reprend la caméra, à bout de souffle.
Fahrenheit 11/9
★★★
Documentaire de Michael Moore. États-Unis, 2018, 125 minutes.