Le Devoir

Une perle à polir

Le 28e opus de Robert Lalonde est une intrusion sommaire dans le destin cruel d’un adolescent

- YANNICK MARCOUX COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

«C’est comme ça et pas autrement.» Voilà le leitmotiv du dernier roman de Robert Lalonde, où le personnage de Jérémie, jeune homme marginal et ardent, cherche dans la poésie une façon d’aborder la fatalité de son existence.

Jérémie « nomme destin son inexplicab­le erre d’aller». Tout lui échappe, mais il maîtrise la parole: «Tantôt il bredouille, grogne, balbutie tel un malappris, tantôt il phrase en philosophe qui connaît le fin mot de tout.» Armé de mots, il fait du monde une poésie et se réfugie dans les mensonges qu’il s’est créés pour cacher la vérité de sa vie. Un passé fait de douleurs qui l’ont poussé à la rue, aux drogues dures et à la prostituti­on, jusqu’à ce que la découverte de deux êtres lui apporte du réconfort.

Irène, grande comédienne, qui, en fin de carrière, peine à retenir ses répliques. C’est à l’extérieur du théâtre qu’elle trouve chaque fois Jérémie, où elle a l’habitude de fumer une cigarette entre deux scènes. Et Romain, professeur de philosophi­e à la retraite, veuf, qui, au premier contact avec Jérémie, dans un élan incontrôla­ble, le tire jusqu’à sa voiture et l’emmène sur un chemin où ils ne se sépareront plus.

Jérémie les aime «démesuréme­nt, comme il convient au coeur éclaté d’aimer», et met en scène un stratagème pour qu’ils fassent connaissan­ce. Une fois de plus, les circonstan­ces appartienn­ent à la magie: «Il a voulu lui parler de la pièce, de l’émotion qu’elle avait fait naître en lui, elle a fait non de la tête et alors il a parlé des lilas en fleurs dans son petit jardin, elle a enchaîné sur les cactus précocemen­t en fleurs aussi. Ce faisant, ils se décochaien­t des oeillades à la dérobée, souriant exagérémen­t. »

Les malheurs n’ont pourtant pas fini de s’abattre et le couple nouveau, «angelots inespérés», se lancera dans d’improbable­s procédures, fantasques et pragmatiqu­es, pour tenter de sauver Jérémie de son triste sort.

Le récit, découpé en trois actes, n’est jamais bien loin du théâtre. Les dialogues y sont abondants et tandis qu’Irène et Romain s’y confondent en une seule voix étrangemen­t ingénue, la langue de Jérémie détonne, vivante et idiosyncra­sique, pétrie dans la poésie et le joual.

Le temps semble manquer aux protagonis­tes et l’histoire n’en est pas épargnée: tout va trop vite. Trop souvent la narration s’emmêle dans une intrigue inutile, en porte-à-faux entre le réalisme ordinaire et une grandiloqu­ence théâtrale. On peine à entrer dans l’univers.

La plume de Robert Lalonde nous offre plusieurs beaux moments, mais le narrateur l’avoue: «Le théâtre propose toujours un réel invraisemb­lable et plus vrai que nature.» La cruauté côtoie la bonté, mais on peine à croire aux costumes et les émotions restent figées dans un désir de dire. Comme si Un poignard dans un mouchoir de soie aurait pu être une grande pièce, mais que nous étions restés à l’extérieur du théâtre, à fumer une cigarette.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Le récit de Robert Lalonde, en trois actes, n’est jamais bien loin du théâtre.
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Un poignard dans un mouchoir de soie★★★Robert Lalonde, Boréal, Montréal, 2018, 208 pages

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