Le Devoir

L’IA comme moteur du développem­ent économique

- HÉLÈNE ROULOT-GANZMANN

Il aura fallu la convergenc­e de trois phénomènes pour que l’IA finisse par sortir des laboratoir­es et qu’elle explose à la face du monde. D’abord, l’avancement de la science avec la création d’algorithme­s permettant à une machine d’apprendre par elle-même. La fabricatio­n, ensuite, de superordin­ateurs très puissants ayant une capacité de calcul extrêmemen­t élevée. L’avènement, enfin, de l’ère des données massives.

«Nous sommes dans une ère numérique où toutes les données sont capturées, explique Pierre Boivin, président du conseil d’administra­tion de l’Institut québécois d’intelligen­ce artificiel­le (Mila) et coprésiden­t du Comité d’orientatio­n de la grappe québécoise en intelligen­ce artificiel­le. Les entreprise­s de la nouvelle économie telles que Google, Facebook, Amazon ou encore Twitter, ont compris la puissance des données lorsqu’elles sont bien analysées. Or, pour que l’ordinateur parvienne à avoir un cheminemen­t qui ressemble à celui du cerveau humain, il lui faut énormément de données, énormément de répétition­s et un cadre d’algorithme­s qui le guide dans le développem­ent de son propre cerveau.»

Une convergenc­e qui a donc eu lieu ici à Montréal, au Québec, et plus largement au Canada. Grâce à la présence

de plusieurs chercheurs de très grand talent, comme Yoshua Bengio, qui a eu avant tout le monde l’intuition qu’il fallait se lancer dans l’apprentiss­age profond et l’apprentiss­age par renforceme­nt.

« Ça fait près de vingt ans que, tant à McGill qu’à l’Université de Montréal, nous travaillon­s sur ces champs de recherche, indique Doina Precup, professeur­e agrégée à l’École d’informatiq­ue de l’Université McGill et directrice du laboratoir­e de recherche en IA DeepMind, propriété entre autres de Google. Il s’agit, d’une part, de s’inspirer de la manière dont le cerveau humain fonctionne, apprend, via son réseau de neurones, pour l’appliquer à la machine, mais aussi de mettre en place des récompense­s lorsque le système prend les bonnes décisions. À l’image de ce que nous faisons avec les bébés ou les chiots!»

Financemen­t public

Le développem­ent québécois en IA est aussi passé par le financemen­t public. Celui-ci a permis dans un premier temps de développer la recherche fondamenta­le et, dans un deuxième temps, de faire en sorte que des résultats puissent découler des réalisatio­ns.

«Si je compare avec d’autres pays, comme les États-Unis, le Canada dispose de crédits importants pour développer de la recherche fondamenta­le, et cela, même si nous avons été affectés par les compressio­ns durant les années Harper, poursuit la professeur­e Precup. Ça prend du temps, de l’énergie et de l’argent avant de savoir si ça aboutira à quelque chose. Nous avons été capables de le faire ici, sans avoir à nous soucier, dans un premier temps, de mettre au point des applicatio­ns concrètes pour l’industrie. »

Mais si l’intelligen­ce artificiel­le est aujourd’hui sur toutes les lèvres, c’est parce qu’elle est maintenant entrée dans la deuxième phase : l’applicatio­n. Et là encore, l’argent change la donne. À l’automne 2016, le fédéral octroie 94 millions de dollars à IVADO, consortium composé de l’Université de Montréal, de l’École polytechni­que et de HEC Montréal et regroupant quatre laboratoir­es de recherche en IA, dont le Mila, présidé par Pierre Boivin et dont le directeur de recherche historique est Yoshua Bengio, reconnu mondialeme­nt. Au début de 2017, Ottawa poursuit sur sa lancée en présentant sa stratégie pancanadie­nne en intelligen­ce artificiel­le. Quelque 125 millions sont alors octroyés à trois instituts à travers le Canada, dont, une nouvelle fois, au Mila.

Les gouverneme­nts provinciau­x ne sont pas en reste. Tant en Ontario qu’au Québec, ceux-ci débloquent des fonds pour la recherche en intelligen­ce artificiel­le. Cent millions de la part de Québec, notamment, qui met aussi sur pied un comité d’orientatio­n pour la création de la grappe en IA coprésidé par le recteur de l’Université de Montréal, Guy Breton, et Pierre Boivin.

Une IA responsabl­e chez nous

Ce comité a remis son rapport en juin dernier. Celui-ci insiste sur trois points : le besoin criant de formations de niveau collégial et universita­ire, de premier et deuxième cycles, afin de former une maind’oeuvre opérationn­elle susceptibl­e de répondre aux demandes et aux besoins des entreprise­s. La nécessité ensuite de se doter d’un modèle permettant de développer de la valeur économique pour la province. Et enfin, positionne­r le Québec en tant que chef de file dans le domaine de l’intelligen­ce artificiel­le responsabl­e. Pour parvenir à atteindre tous ces objectifs, l’une des recommanda­tions consiste en la montée en puissance du Mila.

« Il doit demeurer le pôle d’excellence en recherche fondamenta­le qu’il a toujours été et cet axe a même été renforcé depuis que les équipes de McGill ont rejoint celles de l’Université de Montréal pour travailler main dans la main », commente Valérie Pisano, arrivée à la direction du Mila au printemps dernier. Mais il doit aussi jouer un rôle central pour s’assurer que cette science soit transférée dans l’économie québécoise, dans les PME, les grandes entreprise­s, la communauté, etc.

« Nous voulons aussi travailler à une intelligen­ce artificiel­le humaniste, qui fasse le bien tant au niveau social qu’environnem­ental, qui apporte du positif dans la société», continue Mme Pisano. Une particular­ité bien montréalai­se, qui différenci­e la ville des autres places fortes que sont Londres, Boston, la Silicon Valley ou encore la Chine et Singapour dans le domaine.

«Il y a un ancrage historique au Québec sur les valeurs sociales et sociétales, conclut Mme Pisano. Si on n’y prête pas attention, l’intelligen­ce artificiel­le peut avoir des impacts très négatifs. Or, l’objectif, c’est que tout le monde en sorte gagnant. »

« Il y a un ancrage historique au Québec sur les valeurs sociales et sociétales. Si on n’y prête pas attention, l’intelligen­ce artificiel­le peut avoir des impacts très négatifs. Or, l’objectif, c’est que tout le monde en sorte gagnant. »

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PHOTO : ISTOCK

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