Une paire de menottes ?
Ayant enfin conclu l’Accord États-Unis–Mexique–Canada (AEUMC), le premier ministre Justin Trudeau a maintenant dans sa mire la négociation d’un accord de libre-échange avec la Chine. Un article inusité de l’AEUMC donne cependant l’impression que le Canada a donné à ses partenaires le dernier mot sur son projet.
Lorsqu’un pays signe des accords commerciaux ou des traités, il cède une part de sa souveraineté. Il accepte de se soumettre à des règles qu’il ne peut unilatéralement changer. Le mécanisme de règlement des différends en est un exemple. Le Canada a réussi à le conserver, alors que Donald Trump voulait le torpiller sous prétexte de défendre la souveraineté américaine.
Le Canada a retrouvé une part de la sienne en préservant l’exception culturelle, en obtenant qu’on mette fin à certains recours coûteux des investisseurs et en faisant effacer l’obligation qui lui était faite, même en cas de pénurie, de maintenir la proportion de notre production énergétique destinée aux Américains.
Le gouvernement Trudeau a cependant accepté qu’on inscrive dans l’AEUMC une clause (article 32.10) qui donne aux signataires un droit de regard sur les futures négociations commerciales que pourraient mener leurs partenaires avec un pays à économie dirigée (non-market economy). Un signataire devra d’abord aviser ses deux partenaires de ses intentions de négocier un accord avec un tiers. Il reviendra auxdits partenaires de décider s’il s’agit d’une économie dirigée ou non, l’accord n’offrant aucune définition. S’ils sont de cet avis, ils pourront exiger de voir le futur texte négocié. S’ils en sont mécontents, ils pourront entreprendre des démarches pour exclure le pays négociateur de l’AEUMC. Du jamais vu.
Il est coutume pour un pays de consulter ses partenaires commerciaux avant de conclure une entente avec une tierce partie. On veut ainsi éviter les conflits d’interprétation entre les différents textes. La démarche est avant tout diplomatique. Avec l’AEUMC, on change de registre.
La Chine est clairement visée, et la manière musclée est celle de l’équipe Trump, mais la préoccupation face à Pékin est plus ancienne et ne se limite pas aux États-Unis. Comme eux, l’Union européenne s’oppose à la reconnaissance de la Chine comme économie de marché au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
On lui reproche son contrôle étroit de ses sociétés d’État, le non-respect de la propriété intellectuelle et l’obligation faite aux investisseurs d’y transférer leur savoir-faire. Les membres de l’OMC ont accepté son adhésion à l’OMC parce qu’ils ont cru qu’elle se dirigeait vers une économie de marché. Ce n’est toujours pas le cas, ce qui donne lieu à une concurrence déloyale.
Il n’y a pas de doute que ce sont les Américains qui ont voulu inscrire dans l’AEUMC ce qu’ils rêvent de voir à l’OMC. Mais l’article 32.10 a un effet coercitif, non pas sur la Chine, mais sur les signataires de la nouvelle entente. Depuis lundi, bien des experts trouvent que le Canada a trop cédé sur ce point, rognant un peu plus sa souveraineté en plus de nuire à ses ambitions en matière de diversification des marchés.
La ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland, qui a mené les négociations, tempère les inquiétudes en rappelant qu’un pays a toujours pu se retirer de l’ALENA en donnant un préavis de six mois. Mais on parlait alors d’un retrait, pas d’une expulsion.
Le précédent est inquiétant, d’autant plus qu’il pourrait avoir un effet domino lors d’autres négociations. Le gouvernement Trudeau a le devoir d’expliquer les raisons qui l’ont amené à faire ce choix et les implications qu’il aura sur la souveraineté du Canada. Il revient aux Canadiens de décider de leurs liens commerciaux avec la Chine, pas aux Américains ou aux Mexicains.