Des groupes réclament une succursale de la SQDC à Berri-UQAM
Sans ce commerce, on enlève une option pour acheter du cannabis légal, et on permet aux consommateurs de poursuivre leurs achats » comme avant
SANDHIA VADLAMUDY
Trois semaines après la légalisation de la marijuana au pays, plusieurs représentants du milieu communautaire et de la santé condamnent la suspension de l’ouverture, pour « des raisons idéologiques et politiques », d’une succursale de la Société québécoise du cannabis (SQDC) prévue près de la station de métro Berri-UQAM, au coeur d’un quartier chaud de Montréal. Ils appellent également au maintien de cet espace de vente localisé à cet endroit de manière à couper l’herbe sous le pied des vendeurs de rue, toujours très actifs dans le secteur depuis le 17 octobre dernier.
« Je pense que c’est une erreur d’avoir bloqué l’ouverture de cette succursale », dit Sandhia Vadlamudy, directrice générale de l’organisme CactusMontréal qui vient en aide aux toxicomanes. « Cette décision requestionne des recommandations qui ont été le fruit de longues discussions, à la fois à Montréal et [ailleurs] au Québec. Son emplacement est très pertinent. Il est à un point névralgique de la ville, dans un endroit où le commerce de la drogue se joue déjà. La légalisation a comme objectif de contrer la vente illégale de cannabis et c’est ce qui aurait dû commencer à se passer à cet endroit, avec l’ouverture de ce magasin. »
La succursale de la SQDC devait ouvrir ses portes rue Sainte-Catherine, à l’est de Berri, officiellement fin octobre. Un comité d’experts piloté par la Ville de Montréal, et auquel la police, la Santé publique et des organismes communautaires ont pris part, avait recommandé ce secteur pour son implantation. Or l’arrivée de la Coalition avenir Québec (CAQ) au pouvoir a mis ce projet entre parenthèses, étant donné les
intentions du parti de François Legault de rouvrir la loi encadrant la légalisation du cannabis au Québec. « Par prudence », dit la SQDC, la société d’État préfère attendre que Québec « précise ses intentions» avant de poursuivre ses dépenses dans l’ouverture de nouvelles succursales à Montréal et ailleurs au Québec, comme cela était initialement prévu pour la fin de l’année.
« Sans ce commerce, on enlève une option pour acheter du cannabis légal, dit Mme Vadlamudy, et on permet aux consommateurs de poursuivre leurs achats comme avant », ce qui va à l’encontre de la loi, poursuit-elle.
Le commerce illégal du cannabis est encore très actif dans ce coin de la ville, a constaté Le Devoir. Ironiquement, au début de la semaine, un vendeur de rue était installé à l’entrée, devant les portes closes, de cette succursale en attente d’ouverture ou de déménagement, pour effectuer ses transactions au grand jour. «Cela ne m’étonne pas », laisse tomber Julien Montreuil, de l’organisme L’Anonyme, qui a conseillé la Ville sur la légalisation du cannabis. « L’ouverture de cette succursale était guidée par des considérations pragmatiques liées à des études sérieuses. Ce que fait la CAQ en ralentissant l’ouverture de succursales, c’est appliquer des règles idéologiques, politiques et morales », qui font fi des discussions, des consensus et des cadres déjà établis, selon lui. « En matière de légalisation, c’est de plus d’ouvertures de succursales de la SQDC que nous avons besoin, pas de moins », dit-il.
« L’objectif de la loi fédérale et des lois provinciales qui s’y accrochent, c’est de faire du marché noir un ennemi », résume l’avocat Louis Letellier de St-Just, spécialiste en droit de la santé et président de Cactus-Montréal. « Nous n’allons pas l’éliminer, mais il y a des gestes à poser pour être cohérents avec le plan. L’ouverture de cette succursale en faisait partie. »
« Le secteur Berri-UQAM était un secteur important pour nous », dit Rosannie Filato, responsable du développement social et communautaire au Comité exécutif de Montréal. « Oui, la consommation de drogues y est présente. Mais pour atteindre des objectifs de réduction des méfaits et de prévention, il ne faut pas s’éloigner des lieux de vente, mais plutôt s’en approcher. »
Joint par Le Devoir, le porte-parole du gouvernement Legault, Ewan Sauves, a préféré ne pas répondre à nos questions, prétextant que le projet de loi visant à mettre la légalisation au diapason de l’idéologie caquiste est actuellement en cours. Le ministre Lionel Carmant s’est engagé à le déposer d’ici la fin de l’année. En substance, Québec devrait hausser l’âge légal pour acheter du cannabis à 21 ans, étendre les lieux où la consommation de cannabis sera interdite et inclure les universités dans la liste des lieux près desquels la SQDC ne pourrait pas ouvrir de succursales. Cet ajout viendrait mettre en péril l’emplacement du commerce envisagé à l’angle des rues Sainte-Catherine Est et Berri.
«La localisation des succursales à Montréal a fait l’objet de réflexions nuancées, assure Mme Vadlamudy, qui a participé aux discussions avec la Ville sur ce sujet à l’automne et au printemps dernier. Il y a un travail de réflexion, des consultations que l’on ne peut pas ignorer. Nous parlons ici du centreville de Montréal. Il y a beaucoup d’éléments à prendre en compte dans l’emplacement d’une succursale, pas juste la présence d’une université. »