Lutte écologique et lutte contre l’injustice sociale
Il est tentant de se demander ce que Guy Laliberté va faire de son île polynésienne et de son jet privé maintenant qu’il a signé ce « Pacte pour la transition» qui circule au Québec depuis peu. Cela ne va pas être simple pour notre cracheur de feu milliardaire de réduire son empreinte carbone à un niveau considéré comme compatible avec les limites biophysiques planétaires. Toutefois, puisque le pacte en question autorise l’achat de crédits carbone compensatoires (ces permis de détruire offerts à un prix dérisoire aux plus offrants), il devrait s’en sortir sans trop de mal et avec bonne conscience. On peut s’inquiéter en revanche de la manière dont cet appel lancé par 400 personnalités québécoises sera reçu par celles et ceux dont le niveau de vie est à l’opposé de celui de monsieur Laliberté et que l’invitation à signer ce « pacte » semble exclure.
Comment en effet s’engager à utiliser moins sa voiture ou à acheter une automobile électrique quand on dispose à peine de quoi se payer une carte mensuelle d’autobus (ou quand il n’existe pas d’autobus)? Comment promettre de prendre l’avion moins souvent quand l’idée même de pouvoir monter un jour dans l’une de ces machines constitue un rêve impossible? Comment penser à améliorer « la performance écoénergétique » de son logement quand on loue un appartement vétuste à un «marchand de sommeil»? Comment se préoccuper de désinvestir son épargne du secteur des énergies fossiles quand on gagne trop peu d’argent pour mettre un seul sou de côté ? Comment jurer de consommer autant que possible bio et local quand on parvient tout juste en fin de mois à s’acheter un Kraft Dinner au dépanneur du coin, en plein désert alimentaire ?
Une affaire de riches ?
La plupart de ces femmes et de ces hommes à qui notre société ne garantit pas des conditions matérielles d’existence décentes vont sans doute ignorer cet appel — ils ont bien d’autres chats à fouetter. Mais il est probable que certaines et certains d’entre eux le jugeront indécent et qu’ils en concluront que l’écologie est décidément une affaire de riches (citadins). Ils n’auront pas tout à fait tort. Après d’autres, Hervé Kempf a bien montré Comment les riches détruisent la planète (Seuil, 2007). Et les voilà aujourd’hui, ces membres de l’élite, exhortant le peuple à adopter des comportements plus « écologiques » qui ne vont pas leur coûter grand-chose sur le plan matériel et leur rapporter éventuellement quelques bénéfices sur le plan symbolique. Il est donc bien tentant de les envoyer au diable et de vaquer à ses occupations quotidiennes.
Le problème est que la catastrophe écologique nous menace effectivement toutes et tous, à commencer par les moins nantis d’entre nous. L’idée d’un pacte contre la poursuite du désastre en cours n’est donc pas si mauvaise. Comment toutefois ne pas en exclure d’emblée une partie de la population québécoise, celle qui n’a pas les moyens de se payer le luxe de ces actions individuelles «vertueuses» que les signataires du pacte doivent s’engager à accomplir ? La solution n’est pas très compliquée. La destruction de notre planète et les conditions de vie indignes qui sont imposées à une partie de nos concitoyennes et concitoyens ont une même cause. Il faut commencer par la nommer: elle s’appelle «capitalisme». Il faut ensuite que ce pacte réaffirme l’incompatibilité fondamentale entre cette forme de vie sociale et la préservation de la vie sur terre, d’une part, la justice sociale, d’autre part. Il faut enfin que les signataires n’aient à s’engager que sur une action individuelle, qui pourrait être formulée ainsi : « Je m’engage dans la mesure de mes moyens à tout mettre en oeuvre pour en finir au plus vite avec le capitalisme et contribuer à bâtir des collectivités humaines soutenables, égalitaires et démocratiques. »
Évidemment, on peut faire l’hypothèse que cette reformulation du «Pacte pour la transition» lui ferait perdre quelques-uns de ses soutiens actuels… Mais elle en rallierait bien d’autres, pour qui la lutte écologique est inséparable de la lutte contre l’injustice sociale, et qui sont très impatients d’agir vraiment pour accomplir cette transformation radicale de notre société que la situation exige. On découvrirait alors sans doute qu’ils et elles sont beaucoup plus nombreux qu’on ne le pense.