Espoir sur mer
Avec Jack et le temps perdu, Stéphanie Lapointe plonge dans le ventre de la baleine
Jack et le temps perdu
★★★★ 1/2 Stéphanie Lapointe et Delphie CôtéLacroix, Quai no 5, 2018, 112 pages
Alors que Jack vogue sur les flots avec son fils, celui-ci disparaît étrangement. Mais en moins de temps qu’il ne faut pour évaluer la situation, une baleine grise à la dorsale cicatrisée vient bousculer le bateau, projetant Jack dans les airs d’où il aperçoit, horrifié, Julos dans la gueule de la bête. Déchiré entre cet amour paternel — le désir irrépressible de retrouver son fils — et celui de retourner au port et de tout raconter à sa femme, Jack choisit la mer.
C’est avec une poésie lumineuse que Stéphanie Lapointe investit ici les thèmes de l’espoir, du temps qui passe, du temps perdu, de la solitude et de l’amour. Porté par la peine, par la rage et sans doute aussi beaucoup par la honte, Jack verra s’écouler «beaucoup d’étés de printemps d’automnes et bien sûr d’hivers» avant de revoir, enfin, ce cétacé. Et c’est là, dans le ventre mythique de la baleine, que père et fils se retrouvent. Mais à quel prix?
Après Grand-père et la lune, pour lequel elle a remporté le Prix du Gouverneur général en 2016, Lapointe plonge pour une deuxième fois — et avec autant de sensibilité — dans l’univers du livre jeunesse. L’entêtement de Jack, le choix qu’il fait de ne pas laisser son enfant à la mer — et de ne pas retourner sur terre — crée au bout du compte trois solitudes, trois vies remplies d’attente.
À l’instar de ce vieil homme qui tenait coûte que coûte, quitte à se perdre, à retrouver cet immense espadon, Jack emprunte en quelque sorte ce même chemin douloureux. Si la peine du capitaine est bien sentie et mise en avant tout au long du récit, les non-dits sont tout aussi palpables, notamment la tristesse abyssale de cette femme de marin, seule au bout de sa vie.
La couleur de l’absence
Stéphanie Lapointe parvient avec une infinie douceur à mettre en scène la dureté de la vie, celle de ce temps qui a une emprise sur tout, sur l’humain qui se croit trop souvent immortel. La délicatesse de sa plume, la légèreté avec laquelle elle exploite la souffrance happe en plein coeur, frappe là où il faut, ébranle, chavire...
Ce texte qui pourrait à lui seul nous porter — et nous perdre — est accompagné des illustrations tout aussi enveloppantes et signifiantes de Delphie Côté-Lacroix.
Dans un style aérien — qui rappelle d’ailleurs beaucoup celui d’Isabelle Arsenault — des lignes pures et très peu
de couleurs, Delphie installe une atmosphère qui évoque la peine et la douleur. La noirceur de la mer joue de contraste avec la grisaille du ciel, alors que les différents plans insistent sur l’état émotionnel des personnages. Mais il faut voir aussi comment l’illustratrice met en lumière l’absence et le vide, omniprésents dans la vie de Jack. Les petits souliers de Julos, perceptibles seulement grâce à un trait blanc qui délimite leur forme, se fondent ainsi sur le plancher gris.
Il en est ainsi des bouteilles d’alcool qui jonchent le pont du bateau et même des bottines de Jack. Ce trait blanc, qui laisse ces objets sans vie, exprime avec force le vide ressenti par ce père esseulé qui ne s’appartient plus. Un père qui aura pourtant tout donné. Fameux.