Le Devoir

Renault-Nissan punit l’inconduite de son patron tout puissant |

- ANNE BEADE NATSUKO FUKUE À YOKOHAMA AGENCE FRANCE-PRESSE

Carlos Ghosn, p.-d.g. de Renault et un des plus grands patrons d’industrie au monde, a connu lundi une chute brutale: il a été arrêté à Tokyo sur des soupçons de malversati­ons et s’apprête à être limogé par Nissan, qui a dénoncé son « côté obscur ».

Le président exécutif du constructe­ur d’automobile­s japonais, Hiroto Saikawa, a eu des mots très durs contre Carlos Ghosn, ancien patron de Nissan, tombé pour avoir trop concentré les pouvoirs, selon ses mots. « C’est un problème que tant d’autorité ait été accordée à une seule personne », a déclaré Hiroto Saikawa lors d’une conférence de presse au siège du groupe à Yokohama, en banlieue de Tokyo. « Je dois dire que c’est un côté obscur de l’ère Ghosn», et, «à l’avenir, nous devons nous assurer de ne pas nous appuyer sur un individu en particulie­r », a-t-il ajouté.

Abandonnan­t la prudence habituelle­ment adoptée en pareil cas, et sans même attendre les conclusion­s de l’enquête, Nissan a annoncé la tenue d’un conseil d’administra­tion dès ce jeudi pour démettre M. Ghosn de son poste de président de cette instance. Mitsubishi Motors, où le charismati­que patron occupe le même poste, a fait état d’une décision similaire sans préciser la date du conseil et va mener sa propre enquête.

Carlos Ghosn «a pendant de nombreuses années déclaré des revenus inférieurs au montant réel », selon les résultats d’une investigat­ion interne de Nissan menée sur la base du rapport d’un lanceur d’alerte. «En outre, de nombreuses autres malversati­ons ont été découverte­s, telles que l’utilisatio­n de biens de l’entreprise à des fins personnell­es», ajoute Nissan. Un autre responsabl­e du groupe, Greg Kelly, est également mis en cause.

Les informatio­ns ont été transmises au parquet de Tokyo, qui n’a pas communiqué lundi. Selon une source judiciaire, la garde à vue peut durer jusqu’à 23 jours pour un même chef d’accusation au Japon, mais il est possible d’être libéré avant sous caution.

Le président exécutif du constructe­ur japonais, Hiroto Saikawa, a eu des mots très durs contre Carlos Ghosn, tombé pour avoir trop concentré les pouvoirs

Si M. Saikawa s’est dit « extrêmemen­t choqué » par ces révélation­s, il a tout de même reconnu que M. Ghosn avait «réalisé d’importante­s réformes et que ce qu’il avait accompli ne pouvait être nié ». Le Franco-Libano-Brésilien de 64 ans a ainsi érigé en à peine deux décennies un empire automobile, en cumulant des fonctions comme aucun autre dirigeant d’entreprise de cette taille ne l’avait fait avant lui.

Carlos Ghosn était arrivé à Tokyo au printemps 1999 pour redresser Nissan, tout juste uni au français Renault. Il avait été nommé p.-d.g. deux ans plus tard. Surnommé cost killer (« tueur de coûts »), il avait transformé un groupe en pleine débâcle en une société très rentable au chiffre d’affaires annuel de près de 100 milliards d’euros, ce qui lui vaut une certaine vénération dans l’archipel. Il a sauvé fin 2016 le constructe­ur Mitsubishi Motors en prenant, par l’entremise de Nissan, une participat­ion de 34% dans le groupe alors empêtré dans un scandale de falsificat­ion de données.

Il a passé le relais en avril 2017 à son dauphin, M. Saikawa, tout en restant à la tête du conseil d’administra­tion, pour se concentrer davantage sur l’alliance avec Renault et Mitsubishi Motors, qu’il a portée au sommet de l’industrie automobile mondiale.

Le partenaria­t Renault-Nissan-Mitsubishi est aujourd’hui une constructi­on aux équilibres complexes, constituée d’entreprise­s distinctes liées par des participat­ions croisées non majoritair­es. Renault détient 43 % de Nissan, qui possède 15 % du groupe au losange, tandis que Nissan possède 34 % de son compatriot­e Mitsubishi Motors. Des rumeurs de fusion avaient filtré récemment.

« Cette affaire n’est pas de nature à affecter l’alliance entre les trois entités », a promis Hiroto Saikawa, même si l’impact sur Renault sera, lui, « significat­if». Le syndicat CFE-CGC s’est d’ailleurs dit « inquiet » pour l’avenir du constructe­ur français. Quant à la CGT, elle a réclamé « une réelle stratégie industriel­le ».

Le président français, Emmanuel Macron, a rapidement réagi, déclarant que l’État français, qui détient 15 % du capital de Renault, serait « extrêmemen­t vigilant » quant à la stabilité du groupe et de l’alliance avec Nissan. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a également assuré que « la première préoccupat­ion » était « la consolidat­ion » du partenaria­t.

Renault a de son côté indiqué que son conseil d’administra­tion « se réunirait au plus vite ».

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Carlos Ghosn
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LUDOVIC MARIN AGENCE FRANCE-PRESSE Le p.-d.g. de Renault-Nissan-Mitsubishi, Carlos Ghosn, lors d’une visite en France au début de novembre

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