Le Devoir

La politique de l’UdeM ne règle pas le litige sur le traitement des plaintes

- ANNABELLE CAILLOU MARCO FORTIER

L’Université de Montréal emboîte le pas à l’Université Laval et prévoit interdire les relations intimes entre étudiants et professeur­s en position d’autorité dans sa nouvelle politique sur les violences à caractère sexuel, dévoilée lundi. Si la nature des sanctions est claire, leur applicatio­n reste incertaine tant que les professeur­s et la direction ne s’entendront pas.

Une relation «amoureuse, intime ou sexuelle » entre un étudiant et un membre du personnel sera autorisée à condition que ce dernier n’exerce aucune fonction « pédagogiqu­e ou d’autorité », précise le document de 20 pages, adopté le 12 novembre par l’établissem­ent et rendu public lundi. L’université souhaite ainsi préserver «l’intégrité de la relation » entre étudiants et professeur­s, et « éviter la possibilit­é d’abus de pouvoir ».

Cette nouvelle politique répond aux exigences de la loi 151, adoptée l’année dernière par l’ancien gouverneme­nt libéral. Elle oblige les établissem­ents d’enseigneme­nt supérieur du Québec à se munir d’ici janvier d’une politique spécifique pour combattre et prévenir les violences sexuelles, et à l’appliquer au plus tard le 1er septembre 2019.

Dans l’ensemble, la politique « formalise » des pratiques déjà en vigueur, précise la porte-parole de l’UdeM, Geneviève O’Meara. « La politique demande qu’un bureau spécifique traite les plaintes et signalemen­ts. Le BIMH [Bureau d’interventi­on en matière de harcèlemen­t] s’en occupait déjà, mais maintenant c’est écrit noir sur blanc. »

D’ailleurs, l’équipe du BIMH s’est récemment agrandie pour mieux accompagne­r les victimes.

« Des spécialist­es ont été embauchés : des psychologu­es, des conseiller­s en relation d’aide, des travailleu­rs sociaux, et une spécialist­e dans les cas de violences sexuelles », indique Mme O’Meara.

Accueil en demi-teinte

De son côté, la Fédération des associatio­ns étudiantes de l’Université de Montréal (FAECUM) se dit « relativeme­nt satisfaite du contenu » de la politique, se réjouissan­t d’y retrouver plusieurs de ses recommanda­tions.

« Il reste des petits détails à bonifier, mais ça pourra se faire au moment de la révision au bout d’un an », précise son secrétaire général, Matis Allali.

Seule ombre au tableau : l’applicatio­n des sanctions — allant de la réprimande à l’exclusion ou au renvoi — lorsqu’un professeur est visé par une plainte ou un signalemen­t.

Il est prévu dans la politique — et c’est déjà le cas présenteme­nt — que toutes les plaintes pour harcèlemen­t sexuel et agression sexuelle soient traitées par le BIMH. Il revient après au secrétaria­t général de demander une enquête supplément­aire, au besoin, et de décider des sanctions.

Les dossiers impliquant un professeur font exception. Dans leurs cas, il revient plutôt au comité de discipline, formé essentiell­ement de professeur­s, d’imposer les sanctions. « Des chums qui jugent des chums », dénoncent les étudiants.

Depuis plusieurs mois, la communauté étudiante, appuyée par la direc- tion de l’université, remet en question le rôle de ce comité. Toutes les affaires ne relevant pas de l’enseigneme­nt — harcèlemen­t, violence physique, intimidati­on, vol… — devraient être, selon eux, traitées et sanctionné­es par le BIMH. « On comprend que c’est mieux que des pairs jugent leurs pairs dans le cas de fautes académique­s, comme le plagiat par exemple, mais autrement, il n’y a aucune raison », insiste Matis Allali.

« Passer par le BIMH puis le comité de discipline, c’est lourd et très long comme processus, renchérit Geneviève O’Meara. La victime doit revenir témoigner une deuxième fois, et en plus devant un comité de professeur­s alors qu’elle met en cause les agissement­s d’un de leurs pairs. »

Négociatio­ns

Mais les professeur­s s’y opposent et réclament plutôt la mise en place d’un comité indépendan­t, formé uniquement de membres externes à la communauté universita­ire, pour traiter les plaintes en matière de violences sexuelles.

Et puisqu’ils ont un droit de veto sur tout changement au comité de discipline — cela relève de leur convention collective —, difficile de faire fi de leur opinion dans la nouvelle politique.

Le Syndicat général des professeur­s et professeur­es de l’Université de Montréal (SGPUM) a d’ailleurs accueilli avec des réserves la politique dévoilée lundi. «Ça ne rencontre pas l’objectif de l’indépendan­ce [du traitement des plaintes] », a réagi Jean Portugais, président du SGPUM.

En pleine négociatio­n collective, les professeur­s et la direction peinent à s’entendre sur le processus de traitement des plaintes disciplina­ires. Vendredi, les professeur­s syndiqués ont d’ailleurs rejeté par une majorité écrasante de 96 % des voix la dernière propositio­n de convention collective soumise par la direction de l’UdeM. Cette propositio­n prévoyait notamment des hausses salariales de 12 % sur cinq ans, selon le SGPUM.

« On doit trouver un terrain d’entente avec les professeur­s sur cette questionlà, mais évidemment on souhaite que les instances actuelles en matière de violences sexuelles s’appliquent pour tous », affirme Mme O’Meara.

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? La Fédération des associatio­ns étudiantes de l’Université de Montréal se dit « relativeme­nt satisfaite du contenu » de la politique, se réjouissan­t d’y retrouver plusieurs de ses recommanda­tions.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR La Fédération des associatio­ns étudiantes de l’Université de Montréal se dit « relativeme­nt satisfaite du contenu » de la politique, se réjouissan­t d’y retrouver plusieurs de ses recommanda­tions.

Newspapers in French

Newspapers from Canada