Le Devoir

La rectitude extrême

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Il y a quelques jours, on apprenait qu’un comité de l’Université McGill allait examiner les motifs de conserver ou de changer le nom de l’équipe de football, les Redmen. Une majorité des étudiants consultés par référendum estiment que le nom est offensant pour les peuples autochtone­s, d’autres font plutôt valoir que l’origine du nom tient au fait que les joueurs de l’équipe portaient des casques de couleur rouge.

C’est à ceux qui appellent à l’abandon d’une désignatio­n qu’ils estiment péjorative à l’égard de groupes identifiab­les de démontrer en quoi le vocable contesté est effectivem­ent le résultat d’attitudes condamnabl­es. Dans ce cas-ci, il est loin d’être certain que les origines historique­s du nom contesté ont quelque chose à voir avec le racisme envers les peuples autochtone­s. Abandonner une désignatio­n pour soulager les angoisses de ceux qui ne semblent pas désireux de tenir compte de l’origine historique d’une désignatio­n, c’est aller vite et loin dans la rectitude.

Dans plusieurs campus s’est installé un climat d’intoléranc­e et de police du langage. À l’égard d’un nombre croissant de situations, certains réclament que soient diffusées des mises en garde ou que soient mis en place des espaces sûrs (safe spaces), protégeant contre l’exposition à des idées que certains risqueraie­nt de ne pas approuver. En somme, on revendique le droit de ne pas être dérangé ou offensé par certains propos.

Propos haineux

Réglons tout de suite le volet légitime de telles revendicat­ions. Les lois canadienne­s répriment évidemment le propos qui porte une personne raisonnabl­e à détester ou à mépriser ses semblables. Le discours haineux est l’objet de dispositio­ns des lois criminelle­s et est interdit par les lois protégeant les droits de la personne. Il n’a donc pas à être toléré dans les milieux universita­ires ou ailleurs.

Mais les revendicat­ions pour des « espaces sûrs » vont beaucoup plus loin : elles portent sur des propos qui en eux-mêmes ne contrevien­nent à aucune loi. Par exemple, préconiser de réduire ou de limiter les droits des personnes appartenan­t à certains groupes ostracisés est assurément un discours avec lequel plusieurs seront spontanéme­nt en désaccord. Toutefois, il ne peut être interdit par la loi ou par une décision d’une autorité publique que s’il s’agit d’une limite raisonnabl­e justifiabl­e dans une société démocratiq­ue.

Le fait que certains puissent ressentir de l’inconfort à voir ou entendre un discours ou même de ressentir de la détresse du seul fait de savoir que de tels propos sont diffusés est-il un motif suffisant pour justifier la censure ? Si on répond par l’affirmativ­e à une telle question, il n’y a plus réellement de liberté d’expression. Dès qu’est signalée une situation d’inconfort, il deviendrai­t possible de supprimer l’expression. Le seul fait qu’un désaccord soit exprimé sous forme de malaise serait suffisant pour légitimer la censure.

Dans un environnem­ent juridique où la liberté d’expression est reconnue, il faut une démonstrat­ion documentée du caractère raisonnabl­e de chacune des limites que l’on préconise d’imposer à l’activité expressive. Il ne suffit pas de changer le sens des mots pour ensuite réclamer qu’un discours soit interdit. Par exemple, dans certains milieux, on ne trouve pas de problème à dénoncer comme « violentes » certaines opinions qui dérangent. Pourtant, une opinion n’est pas en soi violente. Mais on réclame la censure au nom du droit de ne pas subir la « micro-agression » que constituer­ait la présence, voire l’existence d’un discours. En somme, on change le sens du mot « violence » pour étiqueter de manière péjorative un propos dérangeant et réclamer qu’il soit supprimé.

Les préjudices

Une façon de départager ce qui relève de la censure injustifié­e et ce qui relève de la prise en compte des préoccupat­ions légitimes de groupes qui subissent des injustices est d’exiger de ceux qui réclament de censurer un contenu d’expliquer de façon documentée en quoi un propos cause de réels préjudices à un intérêt identifiab­le.

Appliquée à une controvers­e comme celle relative au nom de l’équipe de football de McGill, une telle analyse devrait s’appuyer sur des investigat­ions et des preuves obtenues selon les méthodes approuvées par les historiens. Si le nom tire ses origines des racines écossaises de l’équipe ou de l’institutio­n ou de la couleur des vêtements des joueurs, il faudrait expliquer en quoi le vocable serait devenu si offensant pour les peuples autochtone­s avant de réclamer de le supprimer. Une telle démarche permettrai­t au minimum d’éviter de mettre en accusation les moindres expression­s ou les mots transformé­s en tabous.

Dans une société pluraliste, il faut endurer les propos qui nous dérangent ; le seul inconfort ne saurait être une justificat­ion suffisante pour supprimer le propos qui ne contrevien­t à aucune loi.

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