Le Devoir

Comment éviter l’exploitati­on des ressources arctiques

- Justin Leroux Professeur agrégé d’économie à HEC Montréal, Fellow du CIRANO et du CRE Daniel Spiro Associate Senior Lecturer en économie à l’Université d’Uppsala

On estime qu’un quart des réserves de pétrole et de gaz encore non découverte­s se trouvent en Arctique. Il est donc crucial de les laisser intactes afin d’avoir un espoir de limiter le réchauffem­ent climatique à 2 °C, dont l’importance a été rappelée récemment, notamment par le dernier rapport du GIEC. Les conditions difficiles rendent risquée l’exploitati­on des ressources arctiques: une marée noire pourrait avoir des conséquenc­es désastreus­es sur les écosystème­s fragiles dans la région. Mais les conditions difficiles sont aussi synonymes de coûts élevés, estimés à plus de 100 $ (US) le baril dans certaines zones, ce qui n’est pas rentable au prix actuel.

Malgré tout, certains pays comptent sur les progrès technologi­ques et envisagent l’exploratio­n future de l’Arctique. Et ce, même si le bien-être mondial en dépend. La question se pose : comment garder ces réserves intactes ?

Dans un récent article scientifiq­ue, nous détaillons une stratégie pour éviter l’extraction des ressources arctiques. La logique est la suivante : actuelleme­nt, il est intéressan­t d’exploiter l’Arctique uniquement si les innovation­s technologi­ques abaissent les coûts.

Mais les progrès technologi­ques n’arrivent pas d’eux-mêmes. Ils nécessiten­t des investisse­ments, qui dépendent eux-mêmes de la taille du marché pour ces technologi­es. En effet, on sait que plus le marché pour une technologi­e (ici, plateforme­s pétrolière­s, navires pétroliers, etc.) est important, plus les investisse­ments seront conséquent­s et, par suite, plus la technologi­e sera abordable pour tous les acteurs concernés.

Les porte-parole de l’industrie disent eux-mêmes que l’exploitati­on des ressources arctiques ne sera rentable que si le marché est suffisamme­nt important. Cela veut dire que, si un pays comme le Canada décide de laisser ses ressources intactes, le marché pour les plateforme­s et les navires pétroliers adaptés aux conditions arctiques rétrécit. Cela a pour résultat de diminuer les investisse­ments technologi­ques et, donc, de maintenir les coûts relativeme­nt élevés pour les pays qui choisiraie­nt d’exploiter l’Arctique. Cela pourrait ainsi lancer une réaction en chaîne, où un autre pays déciderait que l’Arctique n’est désormais pas rentable, limitant ainsi davantage la taille du marché, et augmentant davantage les coûts pour les autres. Et ainsi de suite.

Difficile de chiffrer l’ampleur des retombées technologi­ques, mais des recherches ont montré qu’une réduction de la taille du marché pourrait considérab­lement faire augmenter les coûts d’exploitati­on : les coûts baissent généraleme­nt de 25% lorsque la taille du marché double. Avec ce chiffre, et en considéran­t les réserves estimées en Arctique, on constate que l’absence du Canada équivaudra­it à une augmentati­on des coûts pour les autres pays de 2$ à 4$ par baril (en dollars américains). Cela n’est qu’un ordre de grandeur, à cause de l’incertitud­e entourant l’ampleur des réserves, notamment. Toutefois, en combinant ces résultats avec l’aveu des porte-parole de l’industrie selon lequel la taille du marché importe pour leur rentabilit­é, cela indique clairement que le comporteme­nt du Canada pourrait être décisif quant à la rentabilit­é pour les autres pays.

Boule de neige

Dans la mesure où le Canada se préoccupe réellement des changement­s climatique­s, il ne devrait évidemment pas être le premier à exploiter. Cela abaisserai­t les coûts pour les autres pays, les incitant à exploiter à leur tour et déclenchan­t ainsi un effet « boule de neige arctique ».

Il est possible que la tentation soit forte d’agir comme suiveur, une fois que plusieurs pays ont commencé à exploiter et que l’Arctique devient rentable. C’est précisémen­t ce qu’espèrent les pays qui se soucient peu du climat. Nous proposons une stratégie pour que les pays qui se préoccupen­t réellement du climat puissent contrecarr­er cette tactique : tenir un référendum sur l’exploitati­on de l’Arctique dans plusieurs années, disons dix ans. Cela maintiendr­a l’incertitud­e pendant dix ans de plus.

Les pays qui comptent sur la participat­ion des suiveurs seront obligés d’y réfléchir à deux fois ou de courir le risque d’entrer seuls entre-temps, à des coûts plus élevés et avec des profits plus bas. Cela donnera aussi du temps à la société pour se sevrer des énergies fossiles. Avec un peu de chance, au moment du référendum, les ressources arctiques seront moins attrayante­s dans dix ans qu’elles le sont aujourd’hui.

On parle parfois de « ruée vers l’Arctique ». Notre analyse indique qu’il n’en est rien, puisque l’attente est une bonne stratégie. C’est le moment pour les pays qui se disent réellement préoccupés par le climat de le prouver au monde entier en faisant acte de patience.

Rarement aura-t-il été aussi productif de ne rien faire.

On parle parfois de « ruée vers l’Arctique ». Notre analyse indique qu’il n’en est rien, » puisque l’attente est une bonne stratégie.

JUSTIN LEROUX ET DANIEL SPIRO

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