Comment éviter l’exploitation des ressources arctiques
On estime qu’un quart des réserves de pétrole et de gaz encore non découvertes se trouvent en Arctique. Il est donc crucial de les laisser intactes afin d’avoir un espoir de limiter le réchauffement climatique à 2 °C, dont l’importance a été rappelée récemment, notamment par le dernier rapport du GIEC. Les conditions difficiles rendent risquée l’exploitation des ressources arctiques: une marée noire pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les écosystèmes fragiles dans la région. Mais les conditions difficiles sont aussi synonymes de coûts élevés, estimés à plus de 100 $ (US) le baril dans certaines zones, ce qui n’est pas rentable au prix actuel.
Malgré tout, certains pays comptent sur les progrès technologiques et envisagent l’exploration future de l’Arctique. Et ce, même si le bien-être mondial en dépend. La question se pose : comment garder ces réserves intactes ?
Dans un récent article scientifique, nous détaillons une stratégie pour éviter l’extraction des ressources arctiques. La logique est la suivante : actuellement, il est intéressant d’exploiter l’Arctique uniquement si les innovations technologiques abaissent les coûts.
Mais les progrès technologiques n’arrivent pas d’eux-mêmes. Ils nécessitent des investissements, qui dépendent eux-mêmes de la taille du marché pour ces technologies. En effet, on sait que plus le marché pour une technologie (ici, plateformes pétrolières, navires pétroliers, etc.) est important, plus les investissements seront conséquents et, par suite, plus la technologie sera abordable pour tous les acteurs concernés.
Les porte-parole de l’industrie disent eux-mêmes que l’exploitation des ressources arctiques ne sera rentable que si le marché est suffisamment important. Cela veut dire que, si un pays comme le Canada décide de laisser ses ressources intactes, le marché pour les plateformes et les navires pétroliers adaptés aux conditions arctiques rétrécit. Cela a pour résultat de diminuer les investissements technologiques et, donc, de maintenir les coûts relativement élevés pour les pays qui choisiraient d’exploiter l’Arctique. Cela pourrait ainsi lancer une réaction en chaîne, où un autre pays déciderait que l’Arctique n’est désormais pas rentable, limitant ainsi davantage la taille du marché, et augmentant davantage les coûts pour les autres. Et ainsi de suite.
Difficile de chiffrer l’ampleur des retombées technologiques, mais des recherches ont montré qu’une réduction de la taille du marché pourrait considérablement faire augmenter les coûts d’exploitation : les coûts baissent généralement de 25% lorsque la taille du marché double. Avec ce chiffre, et en considérant les réserves estimées en Arctique, on constate que l’absence du Canada équivaudrait à une augmentation des coûts pour les autres pays de 2$ à 4$ par baril (en dollars américains). Cela n’est qu’un ordre de grandeur, à cause de l’incertitude entourant l’ampleur des réserves, notamment. Toutefois, en combinant ces résultats avec l’aveu des porte-parole de l’industrie selon lequel la taille du marché importe pour leur rentabilité, cela indique clairement que le comportement du Canada pourrait être décisif quant à la rentabilité pour les autres pays.
Boule de neige
Dans la mesure où le Canada se préoccupe réellement des changements climatiques, il ne devrait évidemment pas être le premier à exploiter. Cela abaisserait les coûts pour les autres pays, les incitant à exploiter à leur tour et déclenchant ainsi un effet « boule de neige arctique ».
Il est possible que la tentation soit forte d’agir comme suiveur, une fois que plusieurs pays ont commencé à exploiter et que l’Arctique devient rentable. C’est précisément ce qu’espèrent les pays qui se soucient peu du climat. Nous proposons une stratégie pour que les pays qui se préoccupent réellement du climat puissent contrecarrer cette tactique : tenir un référendum sur l’exploitation de l’Arctique dans plusieurs années, disons dix ans. Cela maintiendra l’incertitude pendant dix ans de plus.
Les pays qui comptent sur la participation des suiveurs seront obligés d’y réfléchir à deux fois ou de courir le risque d’entrer seuls entre-temps, à des coûts plus élevés et avec des profits plus bas. Cela donnera aussi du temps à la société pour se sevrer des énergies fossiles. Avec un peu de chance, au moment du référendum, les ressources arctiques seront moins attrayantes dans dix ans qu’elles le sont aujourd’hui.
On parle parfois de « ruée vers l’Arctique ». Notre analyse indique qu’il n’en est rien, puisque l’attente est une bonne stratégie. C’est le moment pour les pays qui se disent réellement préoccupés par le climat de le prouver au monde entier en faisant acte de patience.
Rarement aura-t-il été aussi productif de ne rien faire.
On parle parfois de « ruée vers l’Arctique ». Notre analyse indique qu’il n’en est rien, » puisque l’attente est une bonne stratégie.
JUSTIN LEROUX ET DANIEL SPIRO