Le Devoir

Attention à la lumière bleue

- PAULINE GRAVEL

Des recherches de plus en plus nombreuses indiquent que l’éclairage artificiel dans les zones habitées de notre planète est nocif pour la santé et qu’il perturbe les écosystème­s. Et la lumière bleue est la plus nocive de toutes. Deuxième texte d’une série de trois.

Alliée précieuse le jour et ennemie pernicieus­e la nuit: la lumière bleue fait l’objet d’une attention croissante, et les scientifiq­ues cherchent comment la contenir.

« La lumière bleue n’est pas dangereuse tout le temps. Le jour, nous en avons besoin, car elle nous dynamise, elle augmente notre niveau d’éveil. Mais la nuit, sa présence inhibe la production de mélatonine, une hormone impliquée dans la synchronis­ation du cycle d’éveil-sommeil et la régulation de nos rythmes biologique­s, qui est un puissant antioxydan­t doté de propriétés anticancér­euses », souligne, Martin Aubé, professeur au Départemen­t de physique du Cégep de Sherbrooke et professeur de géomatique appliquée à l’Université de Sherbrooke.

Ces dernières années, la plupart des villes qui ont modernisé leur éclairage ont troqué leurs lampes au sodium haute pression pour des diodes électrolum­inescentes (DEL) blanc neutre à 4000 kelvins — Montréal est à 3000 kelvins — qui émettent beaucoup plus de lumière bleue, soit 30 % de lumière bleue comparativ­ement à 8 % pour le sodium haute pression. C’est aussi la lumière qu’émettent les écrans de téléphone, notamment.

Cet accroissem­ent de la portion de lumière bleue dans l’éclairage artificiel est d’autant plus problémati­que que la lumière bleue contribue davantage que les autres longueurs d’onde (ou couleurs) à la pollution lumineuse étant donné qu’elle se diffuse beaucoup plus facilement dans l’atmosphère que les lumières rouge, orange et jaune contenues dans la lumière blanche.

« Tout milieu diffusant, qu’il soit liquide ou gazeux, comme l’atmosphère, favorise la dispersion de la lumière dans toutes les directions. Or, la lumière bleue est celle qui se disperse le plus dans ces milieux. Le ciel est bleu pour cette raison. Bien que la lumière du soleil contienne toutes les couleurs, le bleu est plus facilement diffusé, il est favorisé par rapport aux autres couleurs », explique M. Aubé.

De plus, parce que la lumière bleue émise par les lampadaire­s se diffuse mieux dans l’atmosphère, elle contribue à éclairer davantage le ciel nocturne, dont les étoiles et planètes deviennent alors moins visibles. Les animaux perdent ainsi d’importants repères, et l’humain le contact avec le ciel.

« Quand on regarde les étoiles, c’est une des rares expérience­s que l’on partage avec nos ancêtres à quelques détails près. À l’oeil, c’est exactement le même ciel que voyaient Lucy et les premiers homo sapiens », rappelle Sébastien Gauthier, astronome et responsabl­e de la programmat­ion au Planétariu­m Rio Tinto Alcan.

Aveuglante

La lumière bleue est également éblouissan­te pour l’oeil humain, d’où le danger qu’elle représente pour la sécurité routière. L’éblouissem­ent que certaines DEL riches en lumière bleue induit est particuliè­rement marqué chez les personnes âgées de 50 ans et plus, dont l’humeur aqueuse, un liquide à l’intérieur de l’oeil, devient de moins en moins translucid­e, et de ce fait de plus en plus diffusant.

« L’humeur aqueuse finit par se comporter comme l’atmosphère, ce qui fait que quand l’oeil est exposé à de la lumière bleue, celle-ci est diffusée à l’intérieur de l’oeil, qui voit alors comme à travers un voile », ajoute M. Aubé.

«Nombreux sont ceux qui croient que l’éclairage blanc froid est plus sécuritair­e lorsqu’on se déplace en voiture parce qu’il offre une meilleure fidélité des couleurs. Mais les conducteur­s peuvent être éblouis et ne verront plus rien en sortant d’un carrefour fortement éclairé avec cette lumière, ce qui devient dangereux», fait remarquer Sébastien Gauthier, qui donnait une conférence sur la pollution lumineuse dans le cadre des Rencontres humain-nature d’Espace pour la vie.

Réduire l’exposition

Il est possible de réduire notre exposition à la lumière bleue émise par l’éclairage artificiel (extérieur et intérieur) et les écrans d’affichage des téléphones intelligen­ts, tablettes et ordinateur­s en optant pour des ampoules ou DEL ayant une plus basse températur­e de couleur et en installant des applicatio­ns sur nos dispositif­s électroniq­ues qui filtrent la lumière bleue et en diminuent la quantité émise quand la nuit tombe.

De telles précaution­s auront assurément des impacts sur la santé et les écosystème­s, comme en témoigne une étude menée par des chercheurs berlinois qui ont observé des différence­s marquées dans la production de biomasse, de micro-algues notamment, dans un lac selon le type d’éclairage utilisé.

« Selon que l’éclairage était composé de DEL blanc neutre [qui contient au moins 30 % de lumière bleue] ou de DEL ambrées [qui en contient 1 %], les population­s de microorgan­ismes n’étaient pas les mêmes. Or, comme les microorgan­ismes forment la base de la chaîne alimentair­e, ces perturbati­ons auront à terme des effets sur les poissons », relate M. Aubé qui assistait à un Symposium internatio­nal sur la pollution lumineuse (Symposium in Promotion and Protection on the Night Sky) à l’île de Capraia, en Italie, en septembre.

 ?? SAMANTHA CRISTOFORE­TTI ?? Une photo aérienne de la région de Milan, en Italie, prise en 2015 de la station orbitale internatio­nale, montre la différence de couleur entre la lumière blanche des lampadaire­s DEL de la ville et celle jaunâtre de l’éclairage traditionn­el au sodium toujours en usage dans les banlieues.
SAMANTHA CRISTOFORE­TTI Une photo aérienne de la région de Milan, en Italie, prise en 2015 de la station orbitale internatio­nale, montre la différence de couleur entre la lumière blanche des lampadaire­s DEL de la ville et celle jaunâtre de l’éclairage traditionn­el au sodium toujours en usage dans les banlieues.

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