Le Devoir

Du pareil au même

Bilan, la première mise en scène de Benoît Vermeulen au TNM, est un spectacle pessimiste et en demi-teinte

- FRANÇOIS JARDON-GOMEZ COLLABORAT­EUR

Panneaux-écrans situés au-dessus de la scène qui alternent les images d’archives, gros plans des comédiens en noir et blanc ou apparition d’un Godzilla détruisant tout sur son passage : la surenchère d’informatio­ns noie le propos, malgré l’ingéniosit­é des images

Bilan fait la transition entre le Marcel Dubé des quartiers populaires et celui de la bourgeoisi­e, entre Zone et Les beaux dimanches. D’abord créée pour la télévision en 1960, la pièce voit le jour au TNM en 1968 dans une version remaniée. Dubé pose un regard dur sur le Québec à l’amorce de la Révolution tranquille, alors que le gouverneme­nt de Jean Lesage vient d’être élu. Le passage en politique de William Larose, homme d’affaires prospère et autoritair­e qui s’imagine relancer une Union nationale moribonde, sera l’occasion de révéler les conflits latents avec sa femme Margot et ses trois enfants (Suzie, Guillaume et Étienne).

Cinquante ans plus tard, on revient sur l’héritage de la Révolution tranquille à la lumière du portrait pessimiste que brosse Dubé. Benoît Vermeulen, pour sa première mise en scène au TNM, situe judicieuse­ment son Bilan dans un hors-temps, quelque part entre 1960 et 2018 : d’imposantes colonnes de marbre, des fauteuils, des costumes et des coiffures d’époque côtoient sur la scène une table de DJ et des téléphones cellulaire­s (utilisés, évidemment, par les représenta­nts de la jeunesse pure et idéaliste, Élise et Étienne, ce dernier hantant toujours les personnage­s pour les prendre en photo).

Vermeulen a semblé vouloir embrasser toutes les possibilit­és qu’offrent les ressources du TNM, sans trouver de vision cohérente de bout en bout. La mise en scène foisonnant­e est tantôt surchargée de significat­ions qu’on peine à interpréte­r, tantôt trop explicativ­e. Panneaux-écrans situés au-dessus de la scène qui alternent les images d’archives, les gros plans des comédiens en noir et blanc ou l’apparition d’un Godzilla détruisant tout sur son passage : la surenchère d’informatio­ns noie le propos, malgré l’ingéniosit­é des images.

Celles-ci sont souvent triturées, démultipli­ées, désaturées, signe que tout ne tourne pas rond dans la famille Larose. Ailleurs, la symbolique est trop appuyée, notamment dans la dernière partie, alors que l’étau se referme (symbolique­ment et littéralem­ent) autour de William.

C’est donc surtout l’imposante distributi­on qui porte le spectacle, particuliè­rement les femmes : il faut voir Sylvie Léonard, Rachel Graton, Christine Beaulieu et Rebecca Vachon incarner avec sensibilit­é ces femmes éprises de liberté, mais enfermées dans une société encore trop conser- vatrice. Face à elles, Guy Jodoin surprend en émule de Duplessis, même si la caricature du «cheuf» finit par manquer de subtilité.

Bilan montre aussi que la Révolution tranquille n’a pas effacé les travers associés à l’époque duplessist­e : politique de favoritism­e qui évoque les scandales de corruption des dernières années, même discours dominant sur les «vraies affaires» en politique, fossé génération­nel et clivage gauche-droite aussi marqué qu’aujourd’hui… Seule la condition féminine est plus enviable, sans que tout soit réglé pour autant.

Quel bilan, alors, de ce retour de Marcel Dubé au TNM ? Plus ça change, plus c’est pareil. Triste constat…

Bilan

Texte: Marcel Dubé. Mise en scène: Benoît Vermeulen. Au théâtre du Nouveau Monde du 13 novembre au 8 décembre 2018.

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YVES RENAUD Benoît Vermeulen situe son Bilan dans un horstemps, quelque part entre 1960 et 2018, où les costumes d’époque côtoient une table de DJ.

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