Le blues des Franco-Canadiens. La chronique d’Odile Tremblay.
«Chus juste un Francorien / Déporté chez les têtes carrées / Et la seule chose qui me reste est une langue / Qui ne sait toujours pas sur quel joual trotter », écrivait Glen Charles Landry, poète et dramaturge acadien établi à Toronto, dans son blues littéraire Croquis urbain d’un Francorien en 2006. Souvent, c’est par la langue des artistes que les voix de la francophonie hors Québec se seront fait le mieux entendre dans notre cour. Ou quand une tuile énorme tombe sur une de ces communautés. Telle la récente décision du premier ministre ontarien, Doug Ford, d’annuler le financement d’une université francophone et d’abolir le Commissariat aux services en français. On se réveille alors pour protester, comme en 1997 quand Mike Harris voulut fermer l’hôpital francophone Montfort à Ottawa. Sinon, entre ces francophonies éloignées et le Québec, tant de malentendus et de silences maudits…
Salutaire culture, donc, venue combler quelques fossés d’incommunicabilité. Plusieurs auront découvert ici autrefois la réalité des Franco-Manitobains à travers les recueils de nouvelles de Gabrielle Roy sur son enfance et sa jeunesse d’institutrice à Saint-Boniface. Cette minorité en courage de survivance vivait sous la plume poignante de la grande écrivaine à travers des livres inoubliables : La route d’Altamont, La petite poule d’eau, Rue Deschambault, Ces enfants de ma vie.
Et n’est-ce pas à travers les chansons d’Angèle Arsenault et d’Édith Butler que seront parvenus jusqu’à nous bien des accents de l’Acadie, comme plus tard par la voix de Lisa LeBlanc ? Le théâtre et la prose d‘Antonine Maillet, l’excellent film de modernité Full Blast de Rodrigue Jean (1999), les cris de loup de leurs poètes auront résonné chez nous plus fréquemment que les voix politiciennes québécoises de solidarité.
Au long des ans, les réalités les minorités francophones hors Québec ont évolué, parfois pour le pire, mais elles se battent. La péninsule acadienne tremble en ce moment sous la montée de l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick liée au chef conservateur Blaine Higgs, guère trop « French friendly ».
Oui, soyons bien reconnaissants aux artistes de la francophonie canadienne de s’être faits les porte-voix de leurs communautés, comme aux créateurs québécois de leur avoir tendu la main. Sinon, ce vide…
Ponts coupés
De fait, bien des ponts se sont coupés entre la francophonie de dispersion canadienne et le Québec, surtout depuis le débat référendaire de 1980. Plusieurs souverainistes avaient crié à la trahison devant leur refus d’appuyer nos velléités d’indépendance. Des ténors péquistes auront enterré un peu vite les minorités hors Québec. Ils martelaient ce faisant le message d’une langue française condamnée à mort sous la feuille d’érable, hors du giron d’un État souverain.
De leur côté, les membres des minorités francophones craignaient de se voir noyés et emportés par la mer anglophone si le Québec quittait le navire canadien. Nombreux furent-ils plus tard à considérer le concept de société distincte de Québec comme une gifle à leur propre situation de fragilité.
Au fond, chaque camp plaidait pour sa survie. Reste que nos débats constitutionnels ont nui au tissage de grands réseaux francophones d’un océan à l’autre. On aurait pu mieux jouer notre rôle de vaisseau amiral par rapport au reste de la flotte. Les libéraux ne leur ont guère prêté mainforte tant que cela non plus, si ce n’est sous Jean Charest en inaugurant en 2008 le Centre de la francophonie des Amériques. Mais les fossés demeurent, avec charges symboliques flottant entre ces îlots linguistiques et la terre de chez nous.
Ottawa fera ce qu’il pourra, posant par la bande en champion des minorités francophones pour mieux s’attirer leurs faveurs. Mais c’est lui laisser tout le champ d’influence. Et ce devoir moral du Québec d’épauler à coups d’alliances solides les communautés francophones disséminées à travers le pays, on l’a sous le bras. Reste aussi à effacer entre les francos d’ici et d’ailleurs des années de méfiance mutuelle autrement que par des chansons.
Cette semaine, en voyant François Legault tâcher (hélas ! En vain) de convaincre Doug Ford de réviser ses projets de couperet, on s’est dit que la mise en veilleuse, temporaire ou pas, du projet d’indépendance serait peut-être l’occasion d’apprendre à mieux soutenir les minorités linguistiques du reste du Canada. Et ce, pour le bien supérieur de la langue française par-delà les intérêts partisans. Ça sonne un peu pompeux, dit comme ça, quoique tombant sous le sens.
Nos dirigeants emboîteraient ainsi le pas des artistes attelés à la roue de la survivance de notre langue commune depuis si longtemps.