Le Devoir

Loto-Québec a-t-elle perdu son pari?

L’ouverture de salons de jeux devait réduire l’accès aux loteries vidéo. Onze ans plus tard, la Santé publique fait parler les chiffres.

- MARCO FORTIER

Les joueurs qui fréquenten­t les salons de jeux de Loto-Québec dépensent plus de 3000 $ par année dans les jeux de hasard. Selon ce que Le Devoir a appris, il s’agit d’une somme record, surpassant les dépenses associées à toutes les autres formes de jeu, et qui interpelle les responsabl­es de la santé publique.

Les dépenses annuelles des adeptes des deux salons de jeux — des minicasino­s établis à Trois-Rivières et à Québec — dépassent même celles des joueurs d’appareils de loterie vidéo, considérés comme les jeux de hasard et d’argent les plus problémati­ques.

Ces données sont sont tirées d’une étude de la Direction de santé publique de Montréal (menée avec six partenaire­s) qui sera dévoilée jeudi et que Le Devoir a obtenue. Les chercheurs ont interrogé pas moins de 10 005 adultes québécois sur leurs habitudes de jeu par le biais d’un sondage probabilis­te mené par téléphone fixe, par téléphone mobile et par Internet.

L’enquête, menée entre le 29 novembre 2017 et le 15 mars 2018, conclut que les deux tiers des Québécois (65,6 %) jouent à des jeux de hasard et d’argent, une proportion stable depuis 2012, mais qui a diminué depuis 2002 (81 % de la population adulte jouait).

Les bonnes vieilles loteries restent le jeu de hasard et d’argent le plus populaire au Québec. Six Québécois sur dix achètent des billets de loterie. Ils dépensent en moyenne 222 $ par année. C’est nettement moins que la somme dépensée par les adeptes des salons de jeux, qui dépensent annuelleme­nt 3113 $ dans l’ensemble des jeux de hasard (et non uniquement dans les salons de jeux).

En comparaiso­n, les amateurs d’appareils de loterie vidéo dépensent 2053 $ par année, toujours dans l’ensemble des jeux de hasard et d’argent. Les joueurs de casino, eux, dépensent 1092 $ par an pour des jeux de hasard et d’argent.

« Ce sont les premières données qu’on obtient sur les salons de jeux, qui ont été créés il y a onze ans. Ces données nous démontrent que c’est un endroit où on doit faire de la prévention et offrir davantage d’encadremen­t, un peu comme pour le cannabis, qui vient d’être légalisé », dit Jean-François Biron, de la DSP de Montréal, coordonnat­eur de cette enquête sur les jeux de hasard.

Un avenir incertain

L’avenir du salon de jeux de Québec paraît incertain. Ce minicasino comportant 335 machines électroniq­ues est situé au centre commercial Place Fleur-de-Lys, dans un quartier où vit une population vulnérable.

Le gouverneme­nt de la Coalition avenir Québec (CAQ) envisage de déménager le salon de jeux dans un secteur touristiqu­e, loin des joueurs démunis, et de le transforme­r en casino.

En attendant ce changement de cap, les sommes records dépensées par les adeptes des salons de jeux ne sont pas étonnantes : les revenus des deux établissem­ents ont explosé depuis six ans. Les recettes du salon de Québec ont presque triplé pour atteindre 45,6 millions de dollars, et celles du salon de Trois-Rivières ont pratiqueme­nt doublé, à 15,8 millions.

À leur création en 2007, les salons de jeux étaient décrits par Loto-Québec comme une façon de réduire l’accessibil­ité aux appareils de loterie vidéo — en réduisant de 31% le nombre de lieux offrant ces jeux controvers­és. La société d’État a cependant abandonné au fil des ans une série de mesures visant à prévenir les excès : l’alcool est désormais permis dans les aires de jeu, on trouve un guichet automatiqu­e sur place, les salons de jeux font de la publicité et de la promotion, et les joueurs n’ont plus accès à une carte à puce permettant de limiter le temps et l’argent qu’ils désiraient consacrer à leurs sessions.

Jeu en ligne

La montée du jeu en ligne est l’autre grande tendance révélée par le sondage de la DSP ; 5,2 % des répondants indiquent jouer à des jeux d’argent sur Internet. Une autre étude publiée en 2012 avait estimé cette proportion à 1,5 %. On ne peut affirmer pour autant que le nombre de joueurs en ligne a triplé, car les méthodes des

Ces données nous démontrent que c’est un endroit où on doit faire de la prévention et offrir davantage d’encadremen­t, un peu comme pour le cannabis, qui vient d’être » légalisé JEAN-FRANÇOIS BIRON

deux études sont différente­s, mais la tendance est sans aucun doute à une montée du jeu en ligne, explique Jean-François Biron.

Ce constat concorde avec la hausse importante des revenus du jeu en ligne à Loto-Québec : les recettes ont augmenté de 37,5 % uniquement entre les exercices financiers 2016-2017 et 20172018, rappelle l’étude. Le jeu en ligne sur le site de Loto-Québec s’est diversifié au cours des dernières années, avec l’ajout de loterie par tirage, de paris sportifs, de bingo et de machines à sous, notent les chercheurs.

«Plus généraleme­nt, l’intégratio­n grandissan­te des technologi­es de l’informatio­n et des communicat­ions dans les habitudes de consommati­on de la population est aussi à prendre en compte, souligne le rapport. Le secteur des JHA (jeux de hasard et d’argent) en ligne demeure un objet dont il faudra suivre l’évolution. Il est possible que l’émergence d’une clientèle plus importante de joueurs de loterie en ligne, ou le développem­ent de JHA hybrides, s’inspirant de jeux vidéo, contribue dans le futur à diversifie­r le paysage des JHA en ligne. »

Si les deux tiers des Québécois se décrivent comme des joueurs, le tiers (34,4 %), évidemment, ne jouent jamais. Un autre tiers (29,5 %) jouent entre une fois par mois et une fois par semaine, la même proportion (28,8 %) jouent moins d’une fois par mois et 5,4 % jouent plus d’une fois par semaine. Les régions qui comptent la plus forte proportion de joueurs sont le Saguenay–Lac-SaintJean, l’Abitibi-Témiscamin­gue, Lanaudière, la Mauricie–Centre-duQuébec, la Côte-Nord et la Montérégie. Plus de sept adultes sur dix se décrivent comme des joueurs dans toutes ces régions.

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