Un peu d’air pour les médias
Le milieu médiatique accueille avec joie trois mesures fiscales proposées par Ottawa
Même si « l’enfer est dans les détails » et que ceux-ci se feront encore attendre quelques mois, l’industrie médiatique a poussé un soupir de soulagement en apprenant, mercredi, que l’aide réclamée au gouvernement fédéral lui serait bientôt octroyée. La mise à jour économique des libéraux annonçait crédits d’impôt et reçus d’impôt.
« C’est un excellent jour pour l’information journalistique et pour l’ensemble de la démocratie, s’est réjouie la présidente de la Fédération nationale des communications (CSN), Pascale St-Onge. Je pense qu’il y a beaucoup de médias qui arrivent au bout du rouleau. Il était temps que des mesures aussi consistantes soient mises sur pied. »
Les médias québécois et canadiens s’étaient mobilisés depuis des mois, implorant le fédéral de leur donner un coup de pouce afin d’éviter d’autres fermetures de journaux ou des mises à pied. L’énoncé économique présenté par le ministre des Finances Bill Morneau est venu répondre à quelquesunes de leurs demandes.
Une nouvelle catégorie de donateurs sera créée afin de permettre aux organismes de journalisme à but non lucratif d’offrir des reçus d’impôt à leurs mécènes. La mesure s’appliquera aux Amis du Devoir, selon son directeur, Brian Myles. Les sociétés pourront elles aussi en bénéficier. Ce qui fait que Power Corporation, par exemple, pourrait éponger une partie d’un don qu’elle offrirait à son ancienne entité La Presse +.
Un nouveau crédit d’impôt remboursable sera en outre créé pour la masse salariale liée à la production de contenu d’information. Tant les organismes à but lucratif que ceux à but non lucratif pourront cette fois-ci s’en prévaloir. La Fédération nationale des communications réclamait un tel crédit de 35 % sur les dépenses salariales des entreprises de presse.
Un second crédit d’impôt de 15 % — non remboursable et temporaire, dans son cas — s’appliquera quant à lui aux abonnements de lecteurs de journaux numériques.
« Il reste des choses importantes à préciser, et on dit souvent que le diable est dans les détails, c’est encore le cas aujourd’hui, a déclaré le président de La Presse, Pierre-Elliott Levasseur. Mais je pense que le gouvernement a largement fait ce qui devait être fait. Avec les programmes annoncés aujourd’hui, je pense que le gouvernement a fait preuve de beaucoup de courage et de vision. […] Je pense que c’est de bon augure pour nous, mais c’est aussi de bon augure pour d’autres joueurs. »
Reste encore, cependant, à préciser les dates d’entrée en vigueur de ces mesures ; leurs paramètres, pour savoir quels OBNL ou quels salaires se qualifieront ; et la part que chacun représentera par rapport aux 595 millions sur cinq ans qu’Ottawa pense perdre par le biais de ces crédits. Un comité d’experts indépendants — formé de journalistes et de membres de l’industrie — sera responsable d’établir les critères de qualification.
Les détails devraient être fixés dans le budget du printemps prochain. Le bureau du ministre des Finances reconnaît toutefois déjà que les propositions pourraient s’avérer plus coûteuses si les Canadiens sont plus nombreux que prévu à venir en aide à leur média préféré.
Brian Myles espère d’ailleurs que le comité-conseil ne tardera pas trop et qu’il ne sombrera pas « dans les réflexions, les processus et les débats stériles. C’est le temps de l’action ».
Nécessité d’agir
Le ministre Bill Morneau a fait valoir qu’il reconnaissait la nécessité d’agir, mais qu’il voulait prendre son temps afin de s’assurer que ce sera fait de façon indépendante, en consultant justement des experts externes.
Les conservateurs ont d’ailleurs aussitôt accusé le gouvernement libéral de s’acheter une couverture médiatique
Ça se rapproche de ce dont les médias ont besoin pour survivre dans un environnement » difficile STÉPHANE GIROUX
complaisante en vue de l’élection fédérale de l’an prochain.
« Nous voulons protéger l’indépendance des journalistes. Et ce n’est pas approprié que le gouvernement essaie d’acheter l’appui et le contrôle des médias dans une année électorale », a reproché le député Pierre Poilievre.
Une critique rejetée par le ministre Morneau. « Quelqu’un peut le dire, mais ça ne veut pas dire que c’est la vérité », a-t-il répliqué, arguant que la presse s’est montrée critique tant des gouvernements libéraux et que de ceux dirigés par les conservateurs au fil des 150 dernières années.
Le patron de Groupe Capitales Médias, Martin Cauchon, estime au contraire qu’une aide fédérale sous forme de crédits d’impôt assure l’indépendance des médias. Car une fois qu’ils seront créés, leur attribution sera gérée à distance par les fonctionnaires de l’Agence du revenu, a-t-il argué. « Ce sont des déclarations que je trouve malheureuses, qui visent à miner la crédibilité des médias écrits », s’est-il désolé.
Encourageant
La Fédération professionnelle des journalistes du Québec a estimé que l’aide est «extrêmement encourageante» et qu’elle reflète plusieurs de ses demandes, notamment le crédit d’impôt sur la masse salariale .« Ça se rapproche de ce dont les médias ont besoin pour survivre dans un environnement difficile », a affirmé son président, Stéphane Giroux.
Le p.-d.g. du Forum des politiques publiques et auteur du rapport Le miroir éclaté, Ed Greenspon, s’est quant à lui réjoui du fait qu’Ottawa n’ait pas tenté « de déterminer quel est le modèle d’affaires qui doit primer dans le futur ».