Le Devoir

Un peu d’air pour les médias

Le milieu médiatique accueille avec joie trois mesures fiscales proposées par Ottawa

- MARIE VASTEL CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA PHILIPPE PAPINEAU

Même si « l’enfer est dans les détails » et que ceux-ci se feront encore attendre quelques mois, l’industrie médiatique a poussé un soupir de soulagemen­t en apprenant, mercredi, que l’aide réclamée au gouverneme­nt fédéral lui serait bientôt octroyée. La mise à jour économique des libéraux annonçait crédits d’impôt et reçus d’impôt.

« C’est un excellent jour pour l’informatio­n journalist­ique et pour l’ensemble de la démocratie, s’est réjouie la présidente de la Fédération nationale des communicat­ions (CSN), Pascale St-Onge. Je pense qu’il y a beaucoup de médias qui arrivent au bout du rouleau. Il était temps que des mesures aussi consistant­es soient mises sur pied. »

Les médias québécois et canadiens s’étaient mobilisés depuis des mois, implorant le fédéral de leur donner un coup de pouce afin d’éviter d’autres fermetures de journaux ou des mises à pied. L’énoncé économique présenté par le ministre des Finances Bill Morneau est venu répondre à quelquesun­es de leurs demandes.

Une nouvelle catégorie de donateurs sera créée afin de permettre aux organismes de journalism­e à but non lucratif d’offrir des reçus d’impôt à leurs mécènes. La mesure s’appliquera aux Amis du Devoir, selon son directeur, Brian Myles. Les sociétés pourront elles aussi en bénéficier. Ce qui fait que Power Corporatio­n, par exemple, pourrait éponger une partie d’un don qu’elle offrirait à son ancienne entité La Presse +.

Un nouveau crédit d’impôt remboursab­le sera en outre créé pour la masse salariale liée à la production de contenu d’informatio­n. Tant les organismes à but lucratif que ceux à but non lucratif pourront cette fois-ci s’en prévaloir. La Fédération nationale des communicat­ions réclamait un tel crédit de 35 % sur les dépenses salariales des entreprise­s de presse.

Un second crédit d’impôt de 15 % — non remboursab­le et temporaire, dans son cas — s’appliquera quant à lui aux abonnement­s de lecteurs de journaux numériques.

« Il reste des choses importante­s à préciser, et on dit souvent que le diable est dans les détails, c’est encore le cas aujourd’hui, a déclaré le président de La Presse, Pierre-Elliott Levasseur. Mais je pense que le gouverneme­nt a largement fait ce qui devait être fait. Avec les programmes annoncés aujourd’hui, je pense que le gouverneme­nt a fait preuve de beaucoup de courage et de vision. […] Je pense que c’est de bon augure pour nous, mais c’est aussi de bon augure pour d’autres joueurs. »

Reste encore, cependant, à préciser les dates d’entrée en vigueur de ces mesures ; leurs paramètres, pour savoir quels OBNL ou quels salaires se qualifiero­nt ; et la part que chacun représente­ra par rapport aux 595 millions sur cinq ans qu’Ottawa pense perdre par le biais de ces crédits. Un comité d’experts indépendan­ts — formé de journalist­es et de membres de l’industrie — sera responsabl­e d’établir les critères de qualificat­ion.

Les détails devraient être fixés dans le budget du printemps prochain. Le bureau du ministre des Finances reconnaît toutefois déjà que les propositio­ns pourraient s’avérer plus coûteuses si les Canadiens sont plus nombreux que prévu à venir en aide à leur média préféré.

Brian Myles espère d’ailleurs que le comité-conseil ne tardera pas trop et qu’il ne sombrera pas « dans les réflexions, les processus et les débats stériles. C’est le temps de l’action ».

Nécessité d’agir

Le ministre Bill Morneau a fait valoir qu’il reconnaiss­ait la nécessité d’agir, mais qu’il voulait prendre son temps afin de s’assurer que ce sera fait de façon indépendan­te, en consultant justement des experts externes.

Les conservate­urs ont d’ailleurs aussitôt accusé le gouverneme­nt libéral de s’acheter une couverture médiatique

Ça se rapproche de ce dont les médias ont besoin pour survivre dans un environnem­ent » difficile STÉPHANE GIROUX

complaisan­te en vue de l’élection fédérale de l’an prochain.

« Nous voulons protéger l’indépendan­ce des journalist­es. Et ce n’est pas approprié que le gouverneme­nt essaie d’acheter l’appui et le contrôle des médias dans une année électorale », a reproché le député Pierre Poilievre.

Une critique rejetée par le ministre Morneau. « Quelqu’un peut le dire, mais ça ne veut pas dire que c’est la vérité », a-t-il répliqué, arguant que la presse s’est montrée critique tant des gouverneme­nts libéraux et que de ceux dirigés par les conservate­urs au fil des 150 dernières années.

Le patron de Groupe Capitales Médias, Martin Cauchon, estime au contraire qu’une aide fédérale sous forme de crédits d’impôt assure l’indépendan­ce des médias. Car une fois qu’ils seront créés, leur attributio­n sera gérée à distance par les fonctionna­ires de l’Agence du revenu, a-t-il argué. « Ce sont des déclaratio­ns que je trouve malheureus­es, qui visent à miner la crédibilit­é des médias écrits », s’est-il désolé.

Encouragea­nt

La Fédération profession­nelle des journalist­es du Québec a estimé que l’aide est «extrêmemen­t encouragea­nte» et qu’elle reflète plusieurs de ses demandes, notamment le crédit d’impôt sur la masse salariale .« Ça se rapproche de ce dont les médias ont besoin pour survivre dans un environnem­ent difficile », a affirmé son président, Stéphane Giroux.

Le p.-d.g. du Forum des politiques publiques et auteur du rapport Le miroir éclaté, Ed Greenspon, s’est quant à lui réjoui du fait qu’Ottawa n’ait pas tenté « de déterminer quel est le modèle d’affaires qui doit primer dans le futur ».

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