Le Devoir

Comme un tueur en série ? demande le juge

La Couronne demande l’emprisonne­ment sans possibilit­é de libération avant 150 ans pour Alexandre Bissonnett­e

- ISABELLE PORTER À QUÉBEC

Appelé à prononcer l’une des sentences les plus sévères de l’histoire du Canada, le juge chargé du dossier d’Alexandre Bissonnett­e se demande notamment si les meurtriers de masse comme lui doivent être punis avec la même sévérité que les tueurs en série ou les tueurs à gages.

« Considérez-vous que, toutes choses étant égales par ailleurs, le meurtrier de masse a un état d’esprit blâmable comparable à un meurtrier en série ? » a demandé le juge François Huot au procureur de la Couronne, mercredi, lors d’un ultime échange en cour sur les enjeux constituti­onnels liés à la cause.

« Est-ce que l’état d’esprit blâmable de Bissonnett­e est comparable, par exemple, à un Picton ? » a-t-il ajouté en allusion au meurtrier en série Robert Picton. Et ce, a-t-il précisé, « dans un événement d’une minute trente secondes » à la différence d’un tueur en série qui tue six personnes «sur une période de six mois au rythme d’une par mois dans un climat de planificat­ion et de préméditat­ion ».

Robert Picton a été condamné à la prison à vie en 2007 pour les meurtres de six prostituée­s et on le soupçonne d’avoir tué des dizaines d’autres personnes. Alexandre Bissonnett­e a quant à lui arraché la vie à six fidèles au Centre culturel islamique de Québec en plus d’avoir bouleversé celle de dizaines d’autres.

Or, entre la condamnati­on des deux meurtriers, le Code criminel a été modifié. Depuis 2011, pour les cas de meurtres multiples, les juges peuvent tenir compte de chaque meurtre dans leurs sentences. Normalemen­t, la peine à perpétuité s’accompagne d’une possibilit­é de libération conditionn­elle après 25 ans. Or, pour six meurtres, le juge peut multiplier la période de 25 ans par six, ce qui veut dire qu’Alexandre Bissonnett­e n’aurait pas droit à la libération conditionn­elle avant 150 ans, c’est-à-dire jamais.

Reste à savoir où on mettra la limite, s’est demandé le juge François Huot. « Si le ministère public demande 150 ans pour M. Bissonnett­e, qu’est-ce que vous allez me demander un jour pour ces meurtriers en série, ces tueurs à gages ? »

Aux yeux de la Couronne, Alexandre Bissonnett­e est aussi blâmable qu’un tueur en série.

« Il m’apparaît excessivem­ent dangereux et néfaste d’envoyer le message par les tribunaux que le meurtrier multiple qui tue une multitude de personnes en un seul événement a une culpabilit­é morale moindre qu’un individu qui va en tuer autant sur une période beaucoup plus longue», a notamment répondu le procureur Thomas Jacques.

Si les nouvelles règles du Code criminel sur les meurtres multiples avaient été en vigueur quand Robert Picton a été condamné, elles auraient dû s’appliquer, a-t-il poursuivi. Même chose pour Clifford Olsen, reconnu coupable de nombreux meurtres d’adolescent­s durant les années 1980.

« Souvenez-vous que nous vous avons invité à être prudent sur le message qui pourrait être envoyé, a-t-il aussi dit. Parce que malheureus­ement […] les meurtres multiples semblent faire partie de l’air du temps. Bissonnett­e en a tué six. Un individu est actuelleme­nt accusé à Toronto d’en avoir tué 10. Malheureus­ement, chez nos voisins aux États-Unis, c’est horreur après horreur après horreur », a-t-il fait valoir.

Me Jacques a en outre souligné le caractère islamophob­e et haineux des crimes commis par Alexandre Bissonnett­e et rappelé que, si son arme ne s’était pas enrayée à son arrivée à la mosquée, « c’eût été un carnage », puisque l’homme de 28 ans avait apporté 119 munitions.

Faible marge de manoeuvre

Les observatio­ns sur la peine sont terminées depuis le printemps, mais le juge François Huot avait prié les avocats de répondre à certaines questions de droit pour alimenter sa réflexion avant de déterminer la sentence.

À nouveau mercredi, le juge n’a pas caché son malaise de devoir procéder par blocs de 25 ans pour l’admissibil­ité à la libération conditionn­elle. «On m’accorde un pouvoir discrétion­naire, sauf que mon pouvoir discrétion­naire est très circonscri­t », a-t-il dit à un certain moment.

La Couronne réclame une peine à perpétuité sans possibilit­é de libération conditionn­elle avant 150 ans, alors que la défense a demandé qu’Alexandre Bissonnett­e y ait droit après 25 ans.

Selon la défense, la loi gagnerait à être clarifiée. L’avocat du tueur, Me Charles-Olivier Gosselin, a souligné que c’était «la première fois au Canada» qu’il fallait statuer sur ce que doit être la période maximale à imposer à une personne «sans possibilit­é d’allégement de sa situation ». La sentence d’Alexandre Bissonnett­e sera finalement prononcée le 8 février, soit un peu plus de deux ans après la tuerie.

 ?? MATHIEU BÉLANGER LA PRESSE CANADIENNE ?? Alexandre Bissonnett­e a été reconnu coupable de six meurtres commis dans l’attentat à la grande mosquée de Québec, le 29 janvier 2017.
MATHIEU BÉLANGER LA PRESSE CANADIENNE Alexandre Bissonnett­e a été reconnu coupable de six meurtres commis dans l’attentat à la grande mosquée de Québec, le 29 janvier 2017.

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