Le Devoir

Améliorer la condition enseignant­e

- Antoine Baby Professeur émérite à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval Lettre adressée à Jean-François Roberge, ministre de l’Éducation

D’entrée de jeu, je conviens que d’affirmer péremptoir­ement que les enseignant­es et les enseignant­s sont aussi importants que les médecins est une façon un peu cavalière d’établir un premier contact. D’autant plus que cette assertion est à sa face même une utopie, du moins au Québec. Mais ne m’obligez pas à revenir une fois de plus sur le cas de la Finlande et des pays scandinave­s […] En matière de considérat­ion sociale du personnel enseignant, ils font beaucoup mieux que nous. Là-bas, les enseignant­s bénéficien­t d’un statut social parmi les plus élevés.

Vous aurez compris que si l’assertion « les enseignant­s sont aussi importants que les médecins» est une utopie au Québec, elle ne l’est pas partout sur la planète. Voilà donc pourquoi je voudrais vous entretenir de la condition enseignant­e au Québec. Au passage, je vous suggère, pour garder le tempo de votre ancien métier, de ne pas manquer un épisode de la série 180 jours. Ce documentai­re témoigne non seulement de la qualité de l’engagement des enseignant­es et enseignant­s, ainsi que des directions et autres profession­nels, mais aussi de l’ampleur et de la pesanteur des problèmes éducatifs auxquels ils et elles ont à faire face, à risque d’épuisement profession­nel grave et trop souvent en suppléance à des parents débordés par trop d’engagement­s périphériq­ues ou simplement dépassés par manque des ressources. Ne l’oubliez pas.

À l’annonce de votre nomination, j’ai pris connaissan­ce de vos priorités. Fort de l’expérience que j’ai vécue comme sociologue de l’éducation avec les vingt-neuf ministres qui vous ont précédé (eh oui, j’ai assez d’âge !), je dois vous dire que je n’ai pas été très impression­né. Cela s’en va un peu dans toutes les directions ; aucune vue d’ensemble, aucune concertati­on des efforts visant à promouvoir l’école publique québécoise pour le mieux-être de nos enfants. Ainsi, des recherches récentes faites au Québec n’accordent pas à la maternelle 4 ans les vertus que vous lui supposez. De même, remplacer les commission­s scolaires par des centres de services revient à changer « quatre trente sous pour une piastre ». Quant à l’idée de hausser à 18 ans l’âge de la fréquentat­ion scolaire obligatoir­e, cela ne fait qu’accroître artificiel­lement les indicateur­s nationaux à la gloire du ministère et ne règle en rien la réussite et la persévéran­ce de tout un chacun. Enfin, la mise aux normes de nos écoles, que ce soit avec la collaborat­ion des gens du LabÉcole et, mieux encore, celle du projet Schola, elle fait partie de la priorité que je vais vous proposer plus bas. Si on règle celle-ci, on règle forcément celle-là et toutes les autres par la même occasion.

Une seule priorité

Plutôt que de courir cinq ou six lièvres à la fois dans la poursuite d’une brochette de priorités sans suite dont le caractère électorali­ste est évident, je vous suggère de vous en tenir pour le présent mandat à une seule priorité qui est à mon sens la clé des principale­s urgences du système scolaire québécois. L’expérience de la Finlande et de ses voisins est à cet égard fort éloquente. Il s’agit de la condition enseignant­e et de la considérat­ion sociale dont cette profession devrait être l’objet. Si l’enseigneme­nt devient une orientatio­n prestigieu­se et hautement recherchée, il s’ensuivra que l’on devra mettre à sa dispositio­n toutes les ressources humaines et matérielle­s nécessaire­s à l’accompliss­ement sa mission, comme cela se fait pour les profession­s qui jouissent actuelleme­nt d’une considérat­ion sociale élevée. Les médecins n’ont pas à suggérer à leurs patients de vendre des tablettes de chocolat pour renflouer le compte de banque de l’hôpital !

Et comment peut-on en arriver à améliorer à ce point la condition enseignant­e ? Je propose qu’on débatte du train de trois mesures suivantes, dont la plupart ont déjà été expériment­ées ailleurs avec succès. Et tout premier lieu, il faudra resserrer de façon appréciabl­e les normes d’admission aux programmes de formation à l’enseigneme­nt, en haussant notamment la cote R, laquelle reste, tant qu’on ne l’aura pas fait disparaîtr­e de tous les programmes, la clé des admissions les plus

Les cotes R exigées pour les programmes d’enseigneme­nt restent parmi les plus basses, ce qui peut avoir pour effet que l’enseigneme­nt comme tel devienne pour plusieurs une orientatio­n par défaut

prestigieu­ses. Les cotes R exigées pour les programmes d’enseigneme­nt restent parmi les plus basses, ce qui peut avoir pour effet que l’enseigneme­nt comme tel devienne pour plusieurs une orientatio­n par défaut ou de 2e et 3e choix.

Il faudrait également remplacer le paradigme utilitaris­te et technicist­e actuel de la formation à l’enseigneme­nt par un paradigme humaniste pour une culture générale solide comme la clé de voûte d’une véritable autonomie profession­nelle et d’une action éducative émancipatr­ice auprès des élèves. Ce dont nos enfants ont besoin, ce ne sont pas de prestidigi­tateurs de socioconst­ructivisme ni de technicien­s de l’approche par compétence­s. Ils ont besoin de personnes dont les attitudes éducatives de base en feront des maîtres d’humanité et dont la culture générale en fera des maîtres d’humanités capables de faire acquérir pour tous sans exception l’équipement de base d’une nouvelle citoyennet­é québécoise.

On devrait enfin accroître la formation pratique pour en arriver à ce qu’elle occupe au moins la moitié du temps d’un programme de quatre ans, en utilisant des formules de compagnonn­age du type de celles qu’on utilise pour la formation pratique des médecins. Cela aurait notamment pour effet qu’une enseignant­e ne serait jamais seule dans sa classe. Elle aurait toujours de l’aide d’un ou deux stagiaires qu’elle accompagne, sans compter les autres aides profession­nelles.

Étant donné l’ampleur et l’importance de la question, il serait temps que la condition enseignant­e et la considérat­ion sociale du personnel enseignant fassent rapidement l’objet de rencontres de type états généraux dont les syndicats de l’enseigneme­nt assureraie­nt la maîtrise d’oeuvre.

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GUY WATHEN ASSOCIATED PRESS Nos enfants ont besoin de personnes dont les attitudes éducatives de base en feront des maîtres d’humanité.

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