Améliorer la condition enseignante
D’entrée de jeu, je conviens que d’affirmer péremptoirement que les enseignantes et les enseignants sont aussi importants que les médecins est une façon un peu cavalière d’établir un premier contact. D’autant plus que cette assertion est à sa face même une utopie, du moins au Québec. Mais ne m’obligez pas à revenir une fois de plus sur le cas de la Finlande et des pays scandinaves […] En matière de considération sociale du personnel enseignant, ils font beaucoup mieux que nous. Là-bas, les enseignants bénéficient d’un statut social parmi les plus élevés.
Vous aurez compris que si l’assertion « les enseignants sont aussi importants que les médecins» est une utopie au Québec, elle ne l’est pas partout sur la planète. Voilà donc pourquoi je voudrais vous entretenir de la condition enseignante au Québec. Au passage, je vous suggère, pour garder le tempo de votre ancien métier, de ne pas manquer un épisode de la série 180 jours. Ce documentaire témoigne non seulement de la qualité de l’engagement des enseignantes et enseignants, ainsi que des directions et autres professionnels, mais aussi de l’ampleur et de la pesanteur des problèmes éducatifs auxquels ils et elles ont à faire face, à risque d’épuisement professionnel grave et trop souvent en suppléance à des parents débordés par trop d’engagements périphériques ou simplement dépassés par manque des ressources. Ne l’oubliez pas.
À l’annonce de votre nomination, j’ai pris connaissance de vos priorités. Fort de l’expérience que j’ai vécue comme sociologue de l’éducation avec les vingt-neuf ministres qui vous ont précédé (eh oui, j’ai assez d’âge !), je dois vous dire que je n’ai pas été très impressionné. Cela s’en va un peu dans toutes les directions ; aucune vue d’ensemble, aucune concertation des efforts visant à promouvoir l’école publique québécoise pour le mieux-être de nos enfants. Ainsi, des recherches récentes faites au Québec n’accordent pas à la maternelle 4 ans les vertus que vous lui supposez. De même, remplacer les commissions scolaires par des centres de services revient à changer « quatre trente sous pour une piastre ». Quant à l’idée de hausser à 18 ans l’âge de la fréquentation scolaire obligatoire, cela ne fait qu’accroître artificiellement les indicateurs nationaux à la gloire du ministère et ne règle en rien la réussite et la persévérance de tout un chacun. Enfin, la mise aux normes de nos écoles, que ce soit avec la collaboration des gens du LabÉcole et, mieux encore, celle du projet Schola, elle fait partie de la priorité que je vais vous proposer plus bas. Si on règle celle-ci, on règle forcément celle-là et toutes les autres par la même occasion.
Une seule priorité
Plutôt que de courir cinq ou six lièvres à la fois dans la poursuite d’une brochette de priorités sans suite dont le caractère électoraliste est évident, je vous suggère de vous en tenir pour le présent mandat à une seule priorité qui est à mon sens la clé des principales urgences du système scolaire québécois. L’expérience de la Finlande et de ses voisins est à cet égard fort éloquente. Il s’agit de la condition enseignante et de la considération sociale dont cette profession devrait être l’objet. Si l’enseignement devient une orientation prestigieuse et hautement recherchée, il s’ensuivra que l’on devra mettre à sa disposition toutes les ressources humaines et matérielles nécessaires à l’accomplissement sa mission, comme cela se fait pour les professions qui jouissent actuellement d’une considération sociale élevée. Les médecins n’ont pas à suggérer à leurs patients de vendre des tablettes de chocolat pour renflouer le compte de banque de l’hôpital !
Et comment peut-on en arriver à améliorer à ce point la condition enseignante ? Je propose qu’on débatte du train de trois mesures suivantes, dont la plupart ont déjà été expérimentées ailleurs avec succès. Et tout premier lieu, il faudra resserrer de façon appréciable les normes d’admission aux programmes de formation à l’enseignement, en haussant notamment la cote R, laquelle reste, tant qu’on ne l’aura pas fait disparaître de tous les programmes, la clé des admissions les plus
Les cotes R exigées pour les programmes d’enseignement restent parmi les plus basses, ce qui peut avoir pour effet que l’enseignement comme tel devienne pour plusieurs une orientation par défaut
prestigieuses. Les cotes R exigées pour les programmes d’enseignement restent parmi les plus basses, ce qui peut avoir pour effet que l’enseignement comme tel devienne pour plusieurs une orientation par défaut ou de 2e et 3e choix.
Il faudrait également remplacer le paradigme utilitariste et techniciste actuel de la formation à l’enseignement par un paradigme humaniste pour une culture générale solide comme la clé de voûte d’une véritable autonomie professionnelle et d’une action éducative émancipatrice auprès des élèves. Ce dont nos enfants ont besoin, ce ne sont pas de prestidigitateurs de socioconstructivisme ni de techniciens de l’approche par compétences. Ils ont besoin de personnes dont les attitudes éducatives de base en feront des maîtres d’humanité et dont la culture générale en fera des maîtres d’humanités capables de faire acquérir pour tous sans exception l’équipement de base d’une nouvelle citoyenneté québécoise.
On devrait enfin accroître la formation pratique pour en arriver à ce qu’elle occupe au moins la moitié du temps d’un programme de quatre ans, en utilisant des formules de compagnonnage du type de celles qu’on utilise pour la formation pratique des médecins. Cela aurait notamment pour effet qu’une enseignante ne serait jamais seule dans sa classe. Elle aurait toujours de l’aide d’un ou deux stagiaires qu’elle accompagne, sans compter les autres aides professionnelles.
Étant donné l’ampleur et l’importance de la question, il serait temps que la condition enseignante et la considération sociale du personnel enseignant fassent rapidement l’objet de rencontres de type états généraux dont les syndicats de l’enseignement assureraient la maîtrise d’oeuvre.