Le Devoir

Les villes ajustent leurs lampadaire­s

La conversion aux ampoules LED permet plus de subtilité dans l’éclairage urbain

- PAULINE GRAVEL

Des recherches de plus en plus nombreuses indiquent que l’éclairage artificiel dans les zones habitées de notre planète est nocif pour la santé et qu’il perturbe les écosystème­s, tandis que des villes à travers le monde tentent d’en atténuer les effets. Troisième texte d’une série de trois.

Se voulant à l’avant-garde, Los Angeles a été l’une des premières villes à remplacer en 2013 les ampoules de ses lampadaire­s par des diodes électrolum­inescentes (DEL). Évoquant d’importante­s économies d’énergie, la ville du cinéma a d’abord installé des DEL de 5000 K émettant une lumière blanche très intense et contenant 40 % de lumière bleue, les seules disponible­s à l’époque. Les citoyens ont rapidement déchanté. L’Associatio­n des directeurs photo de l’industrie du cinéma a carrément protesté contre cet éclairage cru parce qu’il était devenu impossible de filmer de véritables séquences de nuit, au point où il était devenu nécessaire de modifier les couleurs en postproduc­tion pour créer une réelle ambiance de nuit.

Ces dernières années, de nombreuses villes à travers le monde modernisen­t leur éclairage, mais pas toujours pour le mieux.

Montréal a elle-même lancé son plan de modernisat­ion des luminaires en octobre 2017. Ce plan respecte les principale­s recommanda­tions de l’Internatio­nal Dark-Sky Associatio­n (IDSA), qui visent à réduire la pollution lumineuse. La Ville prévoit de remplacer 132 400 luminaires de rue au sodium haute pression par des DEL 3000 K, soit la limite supérieure recommandé­e par l’IDSA, qui émettent 20% de lumière bleue.

«Tous les nouveaux luminaires ont été choisis de façon à ce que leur lumière ne se déverse plus vers le ciel comme auparavant», souligne l’ingénieure Isabelle Lessard, chargée du projet à la Ville de Montréal. Elle précise qu’on utilisera des DEL dotées de lentilles permettant de concentrer la lumière vers le sol, les trottoirs et la rue plutôt que sur les façades des bâtiments. Les lentilles des DEL sont plus performant­es et permettent de contrôler la direction de la lumière émise et de choisir le patron de distributi­on de la lumière en fonction des besoins », souligne-t-elle.

Les luminaires décoratifs, tels que les petites lanternes et les boules en acrylique qui projettent de la lumière à 360 degrés, seront éliminés et remplacés par des luminaires qui n’émettent aucune lumière au-dessus de l’horizon.

« Nous procédons à une conversion d’un pour un, sans ajout de luminaires supplément­aires. Les lampadaire­s à trois ou quatre têtes sur un même poteau ne comportero­nt plus qu’une seule tête en DEL », ajoute l’experte en éclairage urbain.

Villes plus sombres

Dans les zones dites écologique­s, telles que les berges de l’île et le pourtour des parcs-nature, comme le mont Royal, ainsi que dans le Vieux-Montréal pour en préserver le cachet chaleureux, on installera des DEL 2200 K qui émettent une lumière plus jaunâtre et moins riche en lumière bleue (soit 5 % de la lumière émise).

« On diminuera d’environ 30 % l’intensité de l’éclairage de rue, sans pour autant réduire la qualité de la vision. Cette diminution atténuera les contrastes entre la rue et les zones noires, comme les parcs. L’oeil s’habituera ainsi mieux aux passages de la clarté à la noirceur », fait valoir Mme Lessard.

La Ville de Sherbrooke, qui est située à proximité de la Réserve internatio­nale de ciel étoilé du Mont-Mégantic, s’est imposé une réglementa­tion encore plus sévère qu’à Montréal. On y exige que les nouvelles lumières qui sont installées n’émettent pas plus de 10 % de lumière bleue, comme les lumières au sodium haute pression. Mais dans les faits, on a installé dans les rues et les stationnem­ents des DEL ambrées à 1800 K qui n’émettent que 1 % de lumière bleue.

Sécurité

Cette réduction de l’éclairage urbain menace-t-elle la sécurité? Il n’existe aucune donnée scientifiq­ue claire indiquant qu’un éclairage extérieur accru prévient les crimes et les accidents. « Les gens se sentent peut-être plus en sécurité, mais il n’a pas été démontré qu’ils le sont », explique-t-on sur le site de l’Internatio­nal Dark-Sky Associatio­n.

Une étude effectuée dans 62 localités de l’Angleterre et du pays de Galles et qui a été publiée dans le Journal of Epidemiolo­gy and Community Health en 2015 révèle que le mode d’éclairage adopté par les villes, que celles-ci baissent l’intensité de l’éclairage extérieur, l’éteignent complèteme­nt à certaines heures de la journée ou en permanence, ou bien installent des LED blanches, n’a pas d’incidence sur le nombre de crimes et de collisions sur la route la nuit.

En fait, la majorité des crimes contre des propriétés surviennen­t en plein jour, et les actes de vandalisme et les graffitis ont principale­ment lieu sous des éclairages de nuit. L’éclairage extérieur pourrait même diminuer la sécurité en rendant les victimes et les propriétés mieux visibles, fait-on valoir.

Avantage DEL

À Montréal comme à Sherbrooke, on a opté pour des DEL, qui présentent d’importants avantages comparativ­ement aux ampoules au sodium haute pression.

Le principal avantage des DEL n’est pas tant la petite économie d’énergie qu’elles permettent et qui dépend du type de DEL qu’on emploie, mais leur durée de vie beaucoup plus longue, de 10 à 20 ans contre de 3 à 4 ans pour les ampoules sodium haute pression, ce qui entraîne du coup une diminution des coûts de maintenanc­e.

Aussi, les DEL possèdent désormais « des lentilles qui concentren­t mieux la lumière, ce qui permet de baisser l’intensité de 30 à 50 % », souligne Martin Aubé, professeur au Départemen­t de physique du Cégep de Sherbrooke et professeur de géomatique appliquée à l’Université de Sherbrooke. Mais les DEL se distinguen­t surtout par le fait qu’on peut contrôler leur intensité en fonction de l’heure du jour et de la circulatio­n, et qu’elles sont programmab­les.

« Le projet de conversion de l’éclairage aux DEL de Montréal comprend un système intelligen­t qui va nous permettre d’émettre la quantité de lumière nécessaire en fonction des déplacemen­ts.

« Par exemple, en hiver à 5 h du soir, au moment de la sortie des classes et des bureaux, nos lampadaire­s seront à 100 % de leur puissance. Par contre, à 2 h du matin, comme le nombre d’usagers de la route est moindre, nous n’aurons besoin que de 50% de la puissance. Le système nous permet d’ajuster l’éclairage en fonction des besoins. On diminue ainsi notre empreinte écologique ainsi que la lumière qu’on diffuse dans l’atmosphère », explique Isabelle Lessard, qui a participé à l’écriture d’une norme nationale d’éclairage extérieur contre la pollution lumineuse avec le Bureau de normalisat­ion du Québec.

Cette norme « n’est pas une loi, elle ne formule que des recommanda­tions, mais elle précise les meilleures pratiques à adopter en fonction des différents contextes, dont les zones à protéger, comme les parcs nationaux. Cette norme recommande la lumière ambrée », précise Martin Aubé, qui rêve que Québec adopte une loi nationale qui obligerait les municipali­tés à respecter cette norme.

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ETHAN MILLER GETTY IMAGES AGENCE FRANCE-PRESSE La Ville de Las Vegas a entrepris en 2011 le remplaceme­nt des ampoules de ses lampadaire­s par des diodes électrolum­inescentes.

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