Le Devoir

De bonnes intentions, mais un malaise profond

Certains aspects du périple sociogéogr­aphique Nos ghettos de l’auteur et metteur en scène J-F Nadeau sont troublants

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE COLLABORAT­EUR

Comédien, improvisat­eur, poète et même humoriste (il appartient aux Zapartiste­s depuis 2011), J-F Nadeau se moque bien des catégories. Dans la droite lignée de Tungstène de bile, un spectacle réalisé en 2015 à partir de 16 poèmes «écrits pour être dits», le créateur propose ces jours-ci un nouveau périple poétique et politique, social et musical, un objet atypique intitulé Nos ghettos.

Dans ce spectacle créé l’été dernier à l’occasion du Festival TransAméri­ques, Nadeau retrouve son complice, Stéfan Boucher. En plus de couvrir la soirée de ses airs et même de la ponctuer de chansons de son cru, le musicien incarne quelques personnage­s, à commencer par la conscience du héros. À l’avant-scène, on trouve un autre musicien, Olivier Landry-Gagnon — c’est vous dire l’importance de la conception sonore, un aspect essentiel à la progressio­n d’un récit halluciné, d’une déambulati­on angoissant­e entre la maison et la clinique sans rendez-vous.

C’est l’expérience aussi quotidienn­e que surréalist­e d’un père alarmé par les otites à répétition de sa fille, espérant également trouver les ingrédient­s nécessaire­s à la confection d’un grilled cheese, mais qui est bien plus préoccupé encore par la relation déroutante qu’il entretient avec les habitants de ce qu’il appelle « le ghetto ». Il faut savoir que le personnage réside avec sa conjointe et ses deux filles au coin de la 2e Avenue et de la rue Bélanger à Montréal, où on trouve un assemblage de réalités culturelle­s diverses, une cohabitati­on dont l’alter ego de l’auteur déplore qu’elle soit « toutes couleurs désunies ».

Dans cette « odyssée de la rencontre impossible », un homme s’insurge contre ce qu’il considère comme le mensonge du vivre-ensemble. On pourrait dire tout le bien qu’on pense de la langue vive et riche de Nadeau, de l’aisance avec laquelle il offre sa poésie. On pourrait dire l’inventivit­é du dispositif scénique, castelet hanté par une Poupée laide, figure diabolique, pulsionnel­le. On pourrait aussi s’emballer pour les chansons cathartiqu­es de Boucher. Mais tout cela paraît bien moins important que d’exprimer le malaise profond que le spectacle et sa galerie de personnage­s caricaturé­s suscitent.

En faisant le récit de sa pénible incursion dans « le ghetto », descente aux enfers dans un quartier qu’il souhaitera­it plus beau, plus ouvert, plus uni et plus accueillan­t, bien entendu selon ses propres critères, le Héros adopte un point de vue plein de bonnes intentions, celui de la classe dominante, un brin condescend­ant, pour ne pas dire colonialis­te. Par conséquent, envers les idées qui sous-tendent la représenta­tion, il apparaît plus crucial que jamais de conseiller au spectateur de garder un esprit critique en alerte.

Nos ghettos Texte: J-F Nadeau. Mise en scène: J-F Nadeau et Stéfan Boucher. Musique: Stéfan Boucher et Olivier Landry-Gagnon. Une coproducti­on de la Tourbière et du Festival Trans-Amériques. À la salle Jean-Claude-Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 1er décembre.

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