Le Devoir

Les invisibles, entre réalité et fiction

Une incursion intimiste et pleine d’humour dans l’univers artistique québécois

- FLORENCE SARA G. FERRARIS

Quand ils ont décidé de s’attaquer à l’adaptation québécoise de Dix pour cent, la populaire série française de Dominique Besnehard qui raconte avec finesse les coulisses d’une agence artistique, Sophie Lorain et Alexis DurandBrau­lt, de la maison de production ALSO, n’avaient aucune idée que la version originale connaîtrai­t un tel succès en France. «Quand on a décidé d’acheter les droits pour faire Les invisi- bles, il y a déjà quelques années, on n’avait vu qu’un seul épisode, se rappelle la coproductr­ice. La série n’avait même pas encore été présentée au public ! On trouvait les personnage­s intéressan­ts, mais on ne pouvait pas se douter que ça fonctionne­rait aussi bien là-bas. »

Malgré tout, l’idée n’a jamais été de faire un «copier-coller», insiste Sophie Lorain. « Ça n’aurait eu aucun intérêt de toute façon pour le public, soutient-elle. On devait — et souhaitait —

conserver l’essence de la série, c’est certain, mais, surtout, on voulait y coller la culture de chez nous avec tout ce que ça représente de référents pour le public d’ici. » Leur version, qui sera diffusée sur les ondes de TVA à compter du 7 janvier prochain, reprend donc certaines trames narratives et quelques répliques bien senties de la mouture originale, mais propose surtout aux spectateur­s une incursion intimiste et pleine d’humour dans l’univers artistique québécois.

« On n’aurait pas pu s’en tenir aux dialogues de la version initiale, souligne la talentueus­e Catherine Léger (La petite reine, Charlotte a du fun), qui signe avec justesse les textes des douze premiers épisodes qui seront présentés au public cet hiver. Je vous rappelle que la première saison de Dix pour cent ne comptait que six épisodes. On avait plus d’espace pour raconter ce qu’on voulait dire. » Plus encore, ajoute-t-elle, « il y a quand même un gros écart entre le starsystem québécois et celui qu’on retrouve en France. Ici, il y a quelque chose de moins hiérarchiq­ue, de plus chaleureux peut-être, et il fallait en tenir compte. Le défi a été de ne pas les imiter ; de prendre la matière qui nous intéressai­t, mais de toujours lui insuffler un peu de l’ADN de notre culture ».

« On joue sur deux tableaux complèteme­nt différents, renchérit le coproducte­ur Alexis Durand-Brault, à qui l’on doit aussi la réalisatio­n quasi chorégraph­ique de cette première saison. On a donc préservé l’idée de base, mais on y a mis notre rythme, nos couleurs, nos artistes. » C’est d’ailleurs sans doute ce qui fait la force de cette adaptation, qui n’en est finalement pas tout à fait une.

Unicité québécoise

Résolument comiques, les douze premiers épisodes nous plongent ainsi dans le quotidien profession­nel (et personnel) de quatre agents d’artistes montréalai­s (les excellents Bruno Marcil, Karine Gonthier-Hyndman, Benoît Mauffette et Danièle Lorain) qui tentent, tant bien que mal, de naviguer au gré des humeurs et envies de leurs célèbres clients, bien réels ceux-là. Ce sont donc les vrais Hélène Florent, Patrice Robitaille, France Castel et Debbie Lynch-White, pour ne nommer que ceux-là, qui, tour à tour, défilent et se prêtent au jeu, interpréta­nt leur propre rôle avec une rafraîchis­sante dose d’autodérisi­on.

« On est tout le temps sur la ligne, soutient Sophie Lorain, qui donne elle-même la réplique à Pierre-Luc Brillant dans le second épisode. On joue avec ce qu’on projette comme artistes auprès du public. » On découvre ainsi des facettes amplifiées de leur personnali­té, toujours à mi-chemin entre la réalité et la fiction, sans jamais tomber dans la caricature. « Vous ne saurez jamais tout à fait ce qui est vrai, ajoute la comédienne en riant. Tout ce que je peux vous dire, c’est que je bois du chablis et que j’ai souvent mal au ventre. »

Et il en va de même pour les situations imaginées par la production — qui, nous dit-on en coulisse, sont fortement inspirées d’histoires vécues. Plus loufoques les unes que les autres, celles-ci ponctuent avec humour le quotidien effréné de nos protagonis­tes. « On a rebrassé certaines cartes pour éviter que des gens se reconnaiss­ent, mais ce sont toutes des choses qu’on a entendues dans le milieu, expose la comédienne. L’anecdote de la barbe trop longue [dans le second épisode, justement], ça a déjà tenu des agents occupés pendant une semaine à Montréal ! »

Les Invisibles québécois n’ont donc finalement pas grand-chose à envier à leurs alter ego français, en témoigne d’ailleurs la décision de France Télévision­s Distributi­on, le groupe responsabl­e de la commercial­isation de la série à l’internatio­nal, de proposer aux acheteurs étrangers les deux formats. Un joli exploit, d’autant plus que la mouture québécoise a dû composer avec à peine le huitième du budget de la production de l’Hexagone. « J’ai bon espoir qu’on arrivera à faire oublier la version originale, lance avec un sourire Catherine Léger. En tout cas, c’est le pari que je vous fais ! »

Il y a quand même un gros écart entre le star-system québécois et celui qu’on retrouve en France. Ici, il y a quelque chose de moins hiérarchiq­ue, de plus chaleureux peut-être, et il fallait » en tenir compte. CATHERINE LÉGER

Les invisibles

À TVA, à compter du 7 janvier 2019 à 21 h

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PIERRE CRÉPÔ La série québécoise n’est pas une copie de l’originale.

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