Des provinces aux priorités divergentes
La rencontre des premiers ministres s’ouvrira vendredi sur fond de déchirements sur les priorités de la fédération canadienne.
Le premier ministre du Québec, François Legault, ne veut plus entendre parler de projets de pipeline. « Il y en a peut-être qui vont parler de pétrole. Moi, je vais leur parler d’hydroélectricité », a-t-il averti jeudi soir.
À la veille de sa toute première rencontre fédérale-provinciale, M. Legault a tué dans l’oeuf l’idée de ressusciter un projet de pipeline calqué sur celui d’Énergie Est, qui visait à acheminer du pétrole de l’Alberta et de la Saskatchewan à un terminal maritime situé à Saint-Jean. « Il n’y a pas d’acceptabilité sociale au Québec », a-t-il dit simplement à son arrivée dans un hôtel de Montréal où il rejoignait ses homologues des autres provinces.
Le discours de M. Legault tranchait nettement avec celui tenu, quelques minutes auparavant, par le trio formé par les premiers ministres Doug Ford (Ontario), Blaine Higgs (Nouveau-Brunswick) et Sott Moe (Saskatchewan).
Ceux-ci reprochaient au premier ministre fédéral, Justin Trudeau, d’avoir cherché à mettre sous le tapis les « choses qui importent aux gens dans [leur] province », comme la vitalité de l’économie canadienne, à l’occasion de la rencontre fédérale-provinciale organisée vendredi à Montréal. «Les inquiétudes pour l’économie sont réelles, que ce soit la taxe sur le carbone, que ce soit l’enjeu des pipelines », a fait valoir le premier ministre du NouveauBrunswick, Blaine Higgs.
L’élu a dit regretter de voir le pétrole de l’Alberta — un « atout » — dévalué sur les marchés en raison de l’absence de débouché. « Ce n’est pas acceptable. Nous devons trouver un itinéraire pour avoir des résultats », a-t-il dit. De la musique aux oreilles de ses confrères saskatchewanais Scott Moe et ontarien Doug Ford.
Les trois hommes, qui ont été portés au pouvoir dans la dernière année, ont aussi réclamé jeudi soir d’être soustraits de l’obligation d’imposer une taxe sur le carbone «tueuse d’emplois » dans leur province respective.
Le chef de gouvernement ontarien avait menacé de boycotter l’événement, mais s’est ravisé. « Nous voulons nous assurer que l’ordre du jour porte exactement sur ce dont nous voulons parler. Nous n’avons pas besoin de nous faire donner la leçon», a lancé M. Ford, flanqué de ses deux « grands alliés » aux réflexes conservateurs.
Décrit comme un « joker […] conservateur mais environnementaliste » au sein de la famille canadienne par une reporter de Toronto, M. Legault a pour sa part pris la défense du marché du carbone, duquel s’est retiré «Fordation », avant de vanter l’hydroélectricité québécoise : « une source d’énergie propre, abordable, renouvelable et fiable ».
M. Legault s’est toutefois allié à M. Ford pour obtenir le paiement de la « facture » occasionnée par l’entrée illégale de demandeurs d’asile au Canada, par le Québec et l’Ontario. Il rappellera aussi à M. Trudeau vendredi la « nécessité » pour le gouvernement fédéral d’octroyer des compensations « pleines et entières » aux producteurs de lait du Québec dans la foulée de la conclusion de l’Accord Canada–ÉtatsUnis–Mexique (ACEUM).
Interpellé sur les accrochages entre le fédéral et les provinces, M. Trudeau a dit n’avoir «aucune illusion» de voir les chefs de gouvernement — parmi lesquels les élus libéraux se font de plus en plus rares — s’« entendre sur tout » lors de la rencontre fédérale-provinciale.
Voyant une occasion d’abaisser les tensions, Justin Trudeau a convié jeudi soir les premiers ministres chez Marven’s: un «restaurant grec familial connu pour ses calmars frits et son décor des années 1970 avec un orignal empaillé ».