Le Devoir

Un pacte sur les migrants subit l’opprobre de la droite canadienne

- HÉLÈNE BUZZETTI CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

Il s’appelle le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières et, depuis quelques semaines, le controvers­é site de nouvelles Rebel.media en fait ses choux gras. Ce document onusien devant être approuvé par le concert des nations la semaine prochaine à Marrakech viserait, selon le média de droite, à effacer les frontières et à déposséder le Canada de son droit de décider de ses politiques migratoire­s. Le chef conservate­ur Andrew Scheer a repris le même discours, mais son ancien collègue ministre Chris Alexander y voit «une erreur» et demande à sa formation de reculer.

Le Pacte est une initiative née dans les officines onusiennes en 2016 dans la foulée de l’explosion des migrations humaines. Le document de 41 pages aspire à doter la planète d’un forum où échanger à propos des meilleures pratiques en matière de gestion des immigrants, des réfugiés et des travailleu­rs temporaire­s étrangers. Le document établit 23 objectifs, dont certains sont généraux — « lutter contre les facteurs négatifs et les problèmes structurel­s qui poussent des personnes à quitter leur pays d’origine » — et d’autres, plus injonctifs — « assurer l’accès des migrants aux services de base ». Le document est toutefois « juridiquem­ent non contraigna­nt », peut-on y lire. Le Pacte réaffirme « le droit souverain des États de définir leurs politiques migratoire­s nationales » et réitère que chaque État peut « faire la distinctio­n entre migrations régulières et irrégulièr­es ».

N’empêche, Rebel.media est tellement opposé à l’initiative qu’il pilote une pétition demandant au Canada de ne pas l’appuyer et sollicite des fonds afin d’assurer la couverture médiatique du vote à Marrakech. Le chef du nouveau Parti populaire du Canada, Maxime Bernier, s’est fendu le mois dernier de huit gazouillis dénonçant un « dangereux traité » dont l’objectif « est de rendre la migration de millions de gens de pays pauvres et instables une chose normale qui doit être facilitée ». Andrew Scheer a emboîté le pas mardi en clamant que le Pacte «accorde à des entités étrangères une influence sur le système d’immigratio­n du Canada » et en déplorant que des « bureaucrat­es étrangers » puissent décider qui entre au Canada.

Chris Alexander, qui a été ministre de la Citoyennet­é et de l’Immigratio­n sous Stephen Harper, déplore cette tendance. « Ce n’est pas une menace pour le Canada parce que le Pacte est basé surtout sur notre expérience », dit-il au Devoir. À son avis, le Pacte invite les autres à imiter le Canada et non l’inverse. « Ce Pacte est important parce qu’il risque d’encourager des dizaines, sinon des centaines de pays à légiférer et mieux réglemente­r leurs politiques d’immigratio­n, et si on fait ça, il y aura moins de migration irrégulièr­e, moins de crises politiques causées par l’immigratio­n, et cela, indirectem­ent, est très bon pour le Canada. »

M. Alexander ne veut pas accorder trop d’importance à Rebel et aux «autres» qui « sèment la panique ». Mais il exhorte Andrew Scheer à ne pas imiter Maxime Bernier pour des raisons politiques. «C’est très décevant. Quand je faisais partie du gouverneme­nt de Stephen Harper, je n’ai jamais entendu un seul mot de la part de Maxime Bernier concernant notre politique d’immigratio­n. Il est opportunis­te pour les pires des raisons et le chef du Parti conservate­ur du Canada ne devrait pas le suivre là-dedans. »

Selon le chef conservate­ur, même non contraigna­nt, un document peut finir par influencer le droit canadien. À cela, l’ancien ministre Lloyd Axworthy, aujourd’hui président du Conseil mondial pour les réfugiés, rétorque qu’il revient à chaque gouverneme­nt élu de décider s’il veut l’appliquer. «Il n’y aura pas de Casque bleu de l’ONU qui arrive sur les plaines d’Abraham pour en forcer l’imposition!» Le député libéral Rob Oliphant, qui préside un comité parlementa­ire venant tout juste de terminer une étude sur le Pacte, explique avoir demandé aux fonctionna­ires si les lois canadienne­s doivent être modifiées pour répondre à ses vingt-trois objectifs. « On s’est fait dire que non. »

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REBECCA BLACKWELL ASSOCIATED PRESS Le Pacte permettra aux pays d’échanger sur les meilleures pratiques en matière de gestion des immigrants, des réfugiés et des travailleu­rs temporaire­s.

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