Le Devoir

Le zélote de la prohibitio­n

- ROBERT DUTRISAC

S’il n’en tenait qu’au ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, l’âge légal pour consommer du cannabis au Québec serait fixé à 25 ans, non pas à 21 ans comme le décrète le projet de loi 2 qu’il a déposé à l’Assemblée nationale. Ce serait dans un esprit de « compromis » qu’il s’est rallié à la position gouverneme­ntale. Et s’il n’en tenait qu’à lui, la consommati­on d’alcool serait aussi soumise à cette limite d’âge de 21 ans. Il y a une certaine logique dans cette idée puisque l’alcool est plus néfaste que la marijuana pour la santé et entraîne davantage de problèmes sociaux. Il y aurait lieu d’en débattre, a-t-il avancé, bien qu’il ait reconnu que le moment n’était pas particuliè­rement bien choisi.

C’est à se demander si nous n’avons pas devant nous un zélote de la prohibitio­n des drogues récréative­s. En tout cas, il est en bonne compagnie : au Salon bleu, François Legault a affirmé, sans aucune nuance, que le cannabis est « dangereux ». Il est vrai que le chef caquiste s’était déjà montré favorable à l’abolition des cégeps, qu’il avait qualifiés de « maudite bonne place pour fumer de la drogue ». Évidemment, il était dans l’erreur puisque c’est plutôt au secondaire que les jeunes sont initiés au cannabis, ce que son ministre a implicitem­ent confirmé en tenant sa conférence de presse sur son projet de loi dans une école secondaire.

À l’Assemblée nationale, cet esprit scientifiq­ue, éminent neurologue en pédiatrie, a déclaré que la consommati­on « de façon chronique et répétée » de cannabis faisait rapetisser le cerveau des jeunes et brûlait les neurones. Il n’y a malheureus­ement pas d’études indubitabl­es qui établissen­t un lien de causalité entre la consommati­on de cannabis et les dommages qu’aurait pu observer empiriquem­ent le neurologue dans sa pratique. D’ailleurs, quand on lui demande sur quelles données scientifiq­ues le gouverneme­nt s’appuie pour fixer à 21 ans l’âge de consommer du cannabis, il répond avec candeur : « Nous n’avons aucune preuve scientifiq­ue, évidemment. »

Ce que nous savons cependant — et c’est ce que martèlent les directions de santé publique —, c’est que la prohibitio­n, même renforcée par la criminalis­ation, n’a pas permis d’enrayer la consommati­on de cannabis chez les jeunes. Ainsi, selon les dernières données disponible­s de l’Enquête québécoise sur la santé de la population, 42 % des jeunes de 18 à 24 ans ont consommé du cannabis au moins une fois dans une année. De ce nombre, 11 % en consommaie­nt tous les jours. C’est beaucoup. C’est le portrait de la situation dans un contexte de prohibitio­n.

Si la prohibitio­n totale, quel que soit l’âge de l’usager, est un échec, comment une prohibitio­n partielle pourrait-elle donner des résultats ? C’est une question à laquelle le gouverneme­nt Legault est sûrement incapable de répondre.

Certes, cela peut apparaître contre-intuitif, mais c’est la légalisati­on, bien encadrée, associée à des campagnes de sensibilis­ation et à des actions de dépistage, qui a le plus de chances de réduire la consommati­on de cannabis chez les jeunes, surtout la consommati­on abusive. Or le gouverneme­nt Legault, faisant fi des avis des directions de la santé publique, ne se gêne pas pour exploiter l’inquiétude des parents et certains préjugés que le premier ministre, lui-même, semble partager.

Lionel Carmant a déclaré qu’avec son projet de loi, il voulait envoyer « un message fort » que le cannabis n’est pas un produit banal. Ce qu’il envoie, c’est un message fort au crime organisé qu’un marché comptant quelques centaines de milliers de jeunes lui est encore assuré et à ces jeunes, qu’ils doivent continuer à s’approvisio­nner illégaleme­nt. Et que c’est ça, la normalité, c’est ça, la banalité.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada