Le Devoir

La Méditerran­ée, l’étendue d’eau la plus meurtrière au monde

- Joe Belliveau Directeur général de Médecins sans frontières Canada

Plus de 2000 personnes sont mortes en essayant de traverser la Méditerran­ée cette année — pour la plupart des migrants et des réfugiés fuyant des conflits, des traumatism­es et des persécutio­ns dans leur pays d’origine. Nombre d’entre eux n’ont d’autre choix que de s’embarquer à bord de navires vétustes et surchargés, dans une ultime tentative désespérée pour atteindre la sécurité de l’Europe. Beaucoup ne survivent pas.

Les actions récentes de certains gouverneme­nts européens ont encore accru la probabilit­é de décès supplément­aires. Malgré l’obligation imposée par le droit internatio­nal d’aider les personnes en détresse en mer, les autorités européenne­s ont considérab­lement réduit leurs opérations de recherche et sauvetage. L’Italie a refusé d’accepter des demandeurs d’asile arrivant par la mer et pris des mesures énergiques contre les organisati­ons travaillan­t à sauver des vies et à prévenir davantage de noyades.

Depuis 2015, Médecins sans frontières (MSF) a aidé plus de 60 000 personnes en danger sur la mer Méditerran­ée. L’an dernier seulement, des équipes à bord de l’Aquarius, un navire de recherche et sauvetage géré par MSF en partenaria­t avec l’organisati­on caritative SOS Méditerran­ée, ont sauvé plus de 15 000 personnes de la noyade. À la suite de ces efforts, non seulement des groupes antimigran­ts en Europe, mais aussi certains gouverneme­nts européens eux-mêmes, par leurs agissement­s, nous ont exhortés à mettre un terme à nos interventi­ons de sauvetage.

Les autorités italiennes, en particulie­r, ont ciblé de manière agressive MSF : elles ont fait pression sur le Panama pour qu’il révoque le drapeau du navire Aquarius ; elles ont retiré le droit d’accès aux ports pour les navires de sauvetage ; elles ont suspendu les comptes bancaires et elles nous ont faussement accusés de collusion avec des trafiquant­s d’êtres humains et de déversemen­t illégal de déchets médicaux, ce qui a entraîné la suspension de nos efforts de recherche et sauvetage.

Criminalis­er l’aide humanitair­e

Et ces mesures ne visaient pas seulement MSF. Des actions similaires ont été menées contre d’autres navires de recherche et sauvetage humanitair­es opérant en Méditerran­ée. Il s’agit là d’agressions concertées contre les fondements du droit internatio­nal et l’ensemble du cadre juridique régissant l’action humanitair­e. Ces agressions reflètent une tendance inquiétant­e des gouverneme­nts à criminalis­er l’aide humanitair­e en utilisant des mécanismes juridiques inappropri­és pour faire avancer leurs programmes politiques. Cette approche, voulue ou non, affaiblit les fondements du système juridique internatio­nal mis en place après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, qui visent à protéger les civils et à prévenir les souffrance­s engendrées par les conflits, les déplacemen­ts et les crises humanitair­es.

La ministre des Affaires étrangères du Canada, Chrystia Freeland, est en Europe pour assister à une série de réunions en Belgique, en Italie et en Allemagne, dont le 25e Conseil ministérie­l de l’Organisati­on pour la sécurité et la coopératio­n en Europe (OSCE), où elle entend « réitérer la nécessité de maintenir l’ordre internatio­nal basé sur des règles face aux défis croissants à travers le monde ». Nous saluons les intentions de la ministre Freeland de défendre un système qui oblige les États membres à assumer leurs responsabi­lités en vertu du droit internatio­nal, et nous espérons qu’elle profitera de cette occasion pour démontrer que le Canada s’oppose fermement à l’érosion constante du cadre internatio­nal sur lequel repose toute action humanitair­e.

Avec cet objectif, nous encourageo­ns la ministre Freeland à insister pour que cessent les attaques non fondées contre les efforts de secours humanitair­es en Méditerran­ée, et à exiger que nos alliés européens respectent leurs obligation­s en vertu du droit maritime internatio­nal, afin que des organisati­ons telles que MSF puissent reprendre leurs opérations de recherche et sauvetage. Les politiques qui prévoient le renvoi des navires de migrants intercepté­s vers la Libye, pays où ils sont fréquemmen­t soumis à la détention, à la torture et à des abus horribles — et qui ne constitue manifestem­ent pas le refuge exigé par les convention­s maritimes internatio­nales —, doivent également être abolies.

Les attaques visant à délégitime­r, à diffamer et à freiner les organisati­ons humanitair­es ont empêché des personnes vulnérable­s de recevoir une assistance vitale. Plus de sept organisati­ons menant des activités de recherche et sauvetage ont fait l’objet d’enquêtes criminelle­s et douze bateaux ont dû cesser leurs activités. C’est une interventi­on internatio­nale robuste qui a été démantelée.

Sans solution immédiate, MSF et son partenaire SOS Méditerran­ée ont annoncé aujourd’hui que nous n’avions pas d’autre choix que de commencer à mettre hors service notre navire de recherche et sauvetage, l’Aquarius. Cela se traduira inévitable­ment par un plus grand nombre de morts inutiles en mer. Pour MSF, ce jour est sombre pour les valeurs humanitair­es internatio­nales en Europe. Nous comptons sur le Canada pour rappeler à nos alliés que ces valeurs sont des questions de principe et ne doivent pas servir des intérêts politiques.

2000

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