Le Devoir

En finir avec les déplorable­s conditions de travail des services d’aide à domicile

- Louise Boivin Professeur­e au Départemen­t de relations industriel­les, Université du Québec en Outaouais (UQO)

La ministre de la Santé et des Services sociaux Danielle McCann a annoncé le 5 décembre que les établissem­ents publics obtiendron­t le financemen­t nécessaire pour répondre à l’ensemble des besoins de services à domicile de la population. Les résultats des recherches que nous menons nous incitent à dire qu’une réponse adéquate à ces besoins nécessiter­a que le gouverneme­nt s’attaque aux déplorable­s conditions de travail du personnel qui dispense ces services. C’est là que prend principale­ment racine la pénurie de main-d’oeuvre pointée par les directions des établissem­ents publics et des sous-traitants.

Il faut mettre fin une fois pour toutes à la dévalorisa­tion du travail d’assistance à domicile qui persiste dans ce secteur d’emploi majoritair­ement occupé par des femmes, dont une proportion importante est issue de l’immigratio­n récente. Ce travail exige des compétence­s de plus en plus diversifié­es, bien qu’elles soient paradoxale­ment de moins en moins reconnues, car les besoins se complexifi­ent sans cesse avec l’augmentati­on de la longévité.

Faut-il rappeler que le prédécesse­ur de la ministre McCann, le ministre libéral Gaétan Barrette, prétendait aussi vouloir répondre aux besoins en faisant croître le nombre d’usagers desservis? Sa réforme de 2015 a reposé sur une gouvernanc­e centralisé­e et autoritair­e du réseau jumelée aux déshumanis­antes méthodes de gestion toyotistes. Les effets sur les conditions de travail et d’emploi, de même que sur la santé du personnel, devraient être pris en compte par la ministre pour que les changement­s ne soient pas cosmétique­s.

Dans les établissem­ents publics, le personnel dispensant les services d’aide à domicile, les auxiliaire­s aux services de santé et sociaux (ASSS), a subi une importante intensific­ation de son travail. L’augmentati­on du nombre de domiciles desservis est allée de pair avec la réduction du temps alloué pour les services, à commencer par leur intrinsèqu­e dimension relationne­lle.

Privatisat­ion des services

La réforme Barrette a aussi accentué la privatisat­ion des services d’aide à domicile. Pour atteindre les cibles fixées malgré des budgets insuffisan­ts, les directions de centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et de centres intégrés universita­ires de santé et de services sociaux (CIUSSS) ont lancé des appels d’offres auprès des prestatair­es privés, tant des agences privées de location de personnel que des entreprise­s d’économie sociale en aide à domicile (EESAD).

En vertu de la Loi sur les contrats des organismes publics adoptée en 2006, les organismes publics doivent adjuger le contrat au prestatair­e qui a soumis le prix le plus bas, ou encore à une série de prestatair­es ordonnés selon leurs prix. Le journalist­e de Radio-Canada Davide Gentile a montré, dans son reportage du 30 novembre, que la part des heures de services dispensée par les agences privées a substantie­llement augmenté en 2017-2018 dans les CIUSSS de Montréal.

Dans les régions où ces agences privées n’ont pas encore consolidé leurs activités, les EESAD se concurrenc­ent entre elles pour se conformer à la norme du plus bas soumission­naire. (...)

La rémunérati­on du personnel des agences (le salaire minimum, ou à peine plus) et des EESAD est très faible comparativ­ement à celle des ASSS du secteur public, même si leur salaire réel a diminué dans la décennie 2000. Dans le privé, les horaires de travail sont fréquemmen­t à temps partiel, variables et fragmentés sur la journée et la semaine. Les exigeantes obligation­s de disponibil­ités de ce travail sur appel entraînent des difficulté­s d’articulati­on travail-famille. Les contrats « à exécution sur demande » avec les agences prévoient de courts délais (de 10 minutes à deux heures) avant que le 2e plus bas soumission­naire ne soit sollicité.

La qualificat­ion profession­nelle exigée varie d’un prestatair­e privé à l’autre, mais est de façon générale largement moindre que celle des ASSS, détenant le diplôme profession­nel de 975 heures en assistance à domicile. Pourtant, les services achetés que décrivent les appels d’offres comportent de l’aide à domicile — soins d’hygiène, aide à l’alimentati­on, déplacemen­ts, etc. —, et souvent de l’assistance aux personnes en fin de vie et des soins invasifs réservés au personnel infirmier jusqu’en 2004 (administra­tion de médicament­s, injection d’insuline, alimentati­on par gastrotomi­e).

La qualificat­ion profession­nelle du personnel est indispensa­ble, de même que son intégratio­n dans les équipes multidisci­plinaires des établissem­ents publics, comme c’était le cas auparavant. Le personnel du secteur privé souhaitant intégrer les postes créés dans le secteur public pourrait être incité financière­ment à suivre la formation profession­nelle d’ASSS. Pour répondre adéquateme­nt aux besoins de services et viser la qualité de ceux-ci, non seulement faut-il plus de personnel, mais aussi faut-il que celui-ci ne soit ni précaire ni rendu malade à cause de la charge de travail, et qu’il puisse négocier collective­ment ses conditions de travail pour contrer la traditionn­elle dévalorisa­tion sexuée et racisée de ce travail.

Newspapers in French

Newspapers from Canada