Dévêtir la politique de son élitisme
L’approche parlementaire d’un Québec solidaire hissé au rang de parti officiel est-elle cousue de fil blanc ?
Après avoir doublé ses membres, triplé son nombre de députés et remporté des circonscriptions hors Montréal, QS se réunira pour la première fois en tant que groupe parlementaire cette fin de semaine dans le cadre de son Conseil national à Montréal. Ce sera l’occasion de dresser le bilan de la dernière campagne électorale, qui a mené à la percée historique du parti fondé il y a presque treize ans.
Lancer de chaussures, vote de dos et DrMartens au Salon bleu, nombreux sont les rejets des conventions des députés de Québec solidaire depuis les débuts de la formation politique de gauche. Après avoir obtenu le statut de parti politique il y a quelques semaines, QS se trouve maintenant à la croisée des chemins : réussira-t-il à « jouer à l’intérieur du cadre tout en le bousculant » pour demeurer fidèle à son identité ?
Longtemps considéré comme une formation politique marginale, QS s’est hissé cette année au rang de groupe parlementaire reconnu officiellement par l’Assemblée nationale. Cette institutionnalisation pourrait cependant marquer la fin de la lune de miel entre la base militante du parti et les députés, notent des politologues.
« Québec solidaire, dans sa genèse, s’apparente à un mouvement social, mais en étant reconnu comme groupe parlementaire, il aura droit à 1,6 million annuellement. Et en politique, qui dit ressources permanentes et professionnelles dit aussi institutionnalisation, ce qui peut laisser présager des tensions », analyse Éric Montigny, professeur au Département de sciences politiques de l’Université Laval.
Durant la dernière campagne provinciale, QS n’a pas eu à prouver sa crédibilité, assumant pleinement sa place parmi les grands partis, soutient le politologue Félix Mathieu, qui estime également que la formation politique vit actuellement un moment charnière.
« C’est certain que c’est leur marque de commerce de déranger, de poser des gestes qui sortent des normes traditionnelles. Il faudra voir comment ils vont traduire ça dans leurs fonctions comme parlementaires », notet-il. Il souligne qu’un candidat aux élections doit être prêt à assumer les
responsabilités qui viennent avec cette fonction, qui est une des plus importantes dans la société. « On peut vouloir changer des façons de faire, mais on ne peut pas toujours utiliser la provocation pour y arriver », prévient M. Mathieu, qui est chargé de cours et doctorant en science politique à l’UQAM et membre de la Chaire de recherche du Canada en études québécoises et canadiennes.
Lors de la première conférence de presse de QS à la suite de l’élection d’octobre dernier, Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de la formation, a dit vouloir « jouer à l’intérieur du cadre tout en le bousculant ».
Un parti antisystème ?
Dans les derniers jours, Catherine Dorion, Sol Zanetti et Émilise LessardTherrien, trois députés récemment élus, ont annoncé vouloir briser le « code vestimentaire » traditionnellement respecté au Salon bleu. Vêtus de jeans, d’espadrilles et d’une camisole, ils ont tous les trois fièrement posé pour Le Journal de Québec, faisant valoir leur désir de rester eux-mêmes et de ne pas se « déguiser » lorsqu’ils siègent à l’Assemblée nationale.
L’ancienne députée et ex-porte-parole solidaire Françoise David s’étonne des vives réactions provoquées par l’attitude de QS. Elle fait remarquer que ce qui a permis l’ascension du parti est maintenant critiqué.
« Le plus drôle, c’est qu’on demande aux politiciens de ne pas parler la langue de bois, d’avoir un franc-parler, de ne pas avoir de cassette, mais la minute où on déborde, on nous reproche d’être provocateurs. Est-ce qu’on peut savoir ce qu’on veut ? » demande-t-elle.
Éric Montigny soulève de son côté que, bien que le sujet du code vestimentaire puisse sembler banal, il est au contraire utile à l’analyse du comportement qu’adoptera QS dans sa phase d’institutionnalisation.
« À ce stade-ci, ce sont des gestes à surveiller pour comprendre la direction que prendra le parti […] Est-ce que QS voudra remettre en question les institutions, se présentera-t-il comme un parti antisystème ? Actuellement, il y a certains comportements, comme celui face au code vestimentaire, qui le sont, indique le politologue. On présente une institution comme étant archaïque, pas adaptée au goût du jour, et on veut provoquer un changement. »
L’actuelle co-porte-parole de QS Manon Massé estime qu’il ne faut pas voir les gestes des députés solidaires comme un rejet des institutions, mais plutôt comme une volonté d’être authentiques.
« Je rappelle que la première candidate de QS était une candidate à moustache, et aujourd’hui elle est porte-parole de ce parti-là et plus personne ne parle de ça. Je suis restée authentique, je n’ai jamais manqué de respect à personne, j’ai décidé de rester moi-même malgré le fait que ça faisait jaser », souligne-t-elle.
Mme Massé assure toutefois que QS est conscient des défis qui l’attendent dans les prochains mois pour conjuguer le rôle de représentants d’une circonscription et celui de porteurs des valeurs du parti. « On est un parti qui a énormément grandi dans les douze dernières années. On a commencé avec un député, deux, puis trois, et [nous en avons] maintenant dix. C’est certain qu’on a une réflexion à avoir sur la façon d’arrimer le travail de l’aile parlementaire à la vision de notre base militante », indique-t-elle.
Mais d’abord, le parti entend dresser le bilan de la dernière campagne électorale et lancer une campagne de mobilisation en ce qui concerne les changements climatiques.